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à des espérances d’avancement devenues irréalisables, on s’est mépris : le découragement pouvait être vrai, mais non le motif qu’on lui assignait. Ce que veulent nos officiers, c’est avant tout ne pas déchoir de leur passé, c’est servir utilement la France, c’est avoir les moyens de répondre à son attente au jour de la lutte, et leur découragement vient de ce que, dans les conditions qui leur sont faites, ces généreuses ambitions leur sont interdites.

L’homme de mer, l’officier de marine, ne se forme qu’à la mer. C’est le principe sur lequel chacun est d’accord, ceux qui affirment que la guerre future sera une guerre d’escadre, ceux qui pensent qu’elle sera une guerre de course. Or, dans l’état actuel de notre marine, s’il est un fait évident, c’est que cette école suprême manque à nos officiers, et que, dans la situation que nous lègue le passé, il n’en peut être autrement. L’annuaire de la marine pour 1873 établit que le personnel de nos officiers se décompose ainsi : 118 capitaines de vaisseau, 264 capitaines de frégate, 721 lieutenans de vaisseau, 507 enseignes. Le même recueil officiel donne la liste des bâtimens à la mer et la composition de leurs états-majors. Ces états-majors dans leur ensemble, en y faisant entrer les vaisseaux-écoles, les emplois aux colonies, comprennent 22 capitaines de vaisseau, 52 capitaines de frégate, 227 lieutenans de vaisseau, 258 enseignes, ce qui donne une proportion d’un cinquième des capitaines de vaisseau et capitaines de frégate, un peu moins d’un tiers des lieutenans et un peu plus de la moitié des enseignes servant hors de France, la durée des commandemens et des embarquemens étant de deux années. En supposant toute justice, il s’ensuit que l’officier supérieur qui vient de quitter la mer doit s’attendre à rester dix ans à terre avant d’être rappelé à un service actif, que les lieutenans de vaisseau et enseignes attendent dans un port ou en congé, les premiers au moins quatre ans, les seconds deux années avant de se retrouver en tête de la liste d’embarquement. Qu’il n’en soit pas tout à fait ainsi dans la pratique pour les lieutenans et enseignes, nous l’admettons en faisant la part du choix ; mais alors la durée est plus grande pour les autres, et il y a compensation sur l’ensemble. Quant aux officiers supérieurs, aux capitaines de vaisseau surtout, qui ne doivent leur grade qu’à leur mérite, puisque l’ancienneté n’y donne aucun droit, et qui par suite sont censés avoir les mêmes titres auprès du ministre, il serait assez difficile de deviner pourquoi les uns seraient préférés aux autres, et le terme de dix années reste bien celui pendant lequel ils sont condamnés à l’inaction ou tout au moins à ne pas reprendre la mer. Qu’un tel état de choses demande un remède énergique et qu’il y aille de la valeur de notre corps d’officiers, c’est ce dont il