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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/21

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depuis les premiers temps de la république chaque fois qu’un danger imprévu vint la menacer. Il est facile de comprendre l’inexpérience de toute la nation quand elle prit les armes contre les sécessionistes, et en voyant le faible rôle que l’élément militaire jouait dans sa vie publique, loin de s’étonner qu’elle n’ait pas réussi plus tôt, on doit au contraire l’admirer d’avoir tant accompli et tant créé sans aucune préparation. On pourrait citer bien des exemples de ce contraste, qui fait honneur à son énergie, entre les ressources organisées qu’elle possédait et les résultats qu’elle obtint. Ainsi le ministère de la guerre, qui, en 1865, dirigeait plus d’un million d’hommes, était au commencement du siècle confondu avec celui de la marine, et ne se composait que du ministre et de huit commis.

Les 6,000 hommes dont la levée avait été votée en 1808, lorsque la guerre avec l’Angleterre semblait imminente, n’avaient jamais été rassemblés, et quand en 1812, après vingt ans de paix, cette guerre finit par éclater, les traditions de la lutte de l’indépendance étaient à peu près perdues. L’enthousiasme ne vint pas y suppléer; il ne s’échauffa pas pour une guerre où l’existence nationale n’était pas en jeu. Nous ne nous arrêterons pas sur cette guerre, car à son tour elle ne laissa pas de traditions sérieuses, et ne forma que bien peu d’hommes distingués. Elle offre peu d’exemples instructifs de la manière de combattre dans le Nouveau-Monde, et, sauf dans la brillante affaire de la Nouvelle-Orléans, elle ne fit guère ressortir que les défauts ordinaires des volontaires américains, sans mettre en relief leurs meilleures qualités.

Les campagnes faites au Canada, si l’on peut donner ce nom à une série d’opérations décousues, aussi insignifiantes par leurs résultats que par les moyens employés, ne présentent aucun intérêt. L’armée régulière existait à peine; les volontaires, peu nombreux, levés à la hâte et d’ordinaire pour la durée d’une seule expédition, faite sur les frontières de leur propre état, pouvaient à peine être comptés dans l’armée. Les milices, plus insubordonnées encore que sous Washington, trouvaient des motifs constitutionnels pour refuser, au milieu même d’une opération, d’aller au-delà de la frontière soutenir leurs camarades engagés. L’affaire la plus sanglante peut-être, celle du Niagara, fut une lutte nocturne où chacun des deux partis, se croyant battu, abandonna avant le jour le champ de bataille, et la déroute de Bladensburg jeta un triste jour sur la démoralisation de ces troupes improvisées. Le nom du jeune général Scott, naguère encore l’illustre doyen de l’armée américaine, mérite seul d’être cité à côté de celui de Perry, ce marin qui sut, à force d’audace, conquérir la suprématie navale sur les lacs.