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= Cependant ceux qui suivirent cette guerre dans toutes ses péripéties purent déjà faire une remarque qui a été bien des fois confirmée depuis, c’est que sur le sol de l’Amérique la défensive est aisée, l’offensive difficile à soutenir. Occupés par leur lutte avec la France, les Anglais, au lieu d’attaquer, furent forcés d’attendre les Américains dans le Canada : cette nécessité fit leur force. En 1814, la paix avec la France semblait, en leur rendant toute liberté d’action, leur assurer une supériorité incontestable. Le contraire arriva, parce que, se sentant les plus forts, ils reprirent l’offensive, et les Américains, attaqués à leur tour, retrouvèrent aussitôt tous les avantages qu’ils avaient perdus en envahissant le territoire ennemi. En effet, après avoir vaincu sans efforts à Bladensburg, brûlé une partie de Washington et occupé le reste, les Anglais ne purent se maintenir dans cette position, et, en évacuant sans combat la capitale ennemie, ils furent contraints de reconnaître combien était stérile la victoire qui la leur avait livrée. Enfin la guerre se termina à l’avantage des Américains sur les bords du lac Champlain et à la Nouvelle-Orléans, où les Anglais furent vaincus par une poignée de blancs et de nègres mêlés, armés à la hâte, et auxquels Jackson avait communiqué son indomptable énergie.

Ces deux affaires heureuses ne pouvaient faire oublier à l’Amérique les événemens qui les avaient précédées, et qui avaient été pour elle une sérieuse leçon. Aussi cette guerre ne lui fut-elle pas inutile, car elle lui fit sentir la nécessité de réorganiser sur de nouvelles bases ses institutions militaires. Dès les premiers jours, l’opinion publique, ce juge tout-puissant chez les peuples libres, qui a peut-être les caprices, mais non les funestes entêtemens des despotes, était revenue promptement de toutes ses préventions. C’est alors qu’on adopta le projet d’école militaire laissé par Washington. Le président demandait 10,000 hommes pour l’armée régulière : on l’autorisa à en lever 25,000. Il est vrai qu’on ne réussit jamais à compléter ce chiffre d’effectif, et que les nouvelles levées, dépourvues de cadres anciens, se montrèrent aussi inexpérimentées que des volontaires ou des miliciens.

Mais lorsque la paix se fit en 1815, au lieu de les licencier jusqu’au dernier homme selon l’habitude, on en garda 10,000 sous les drapeaux. Ils formèrent l’effectif sur le pied de paix des troupes fédérales, que l’on se décidait enfin à organiser d’une manière définitive. C’est de cette année que date l’existence en Amérique de l’armée régulière, comprenant des corps de toutes armes, se recrutant d’une manière constante, ayant un avancement fixe, et ouvrant une véritable carrière aux officiers, assurés désormais de la conservation de leurs grades.