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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/305

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premier empire étaient sans cesse invoqués; on parlait moins des désastres qui deux fois avaient perdu la France. Le droit de faire périodiquement des promenades militaires à travers l’Europe, des entrées triomphales dans toutes ses capitales, était invoqué comme inhérent à la nation française ; quiconque le disputait ou doutait du succès était un mauvais citoyen. Ceux qui parlaient ainsi n’avaient aucune connaissance précise des ressources militaires des nations rivales, de l’état de leurs armemens, des alliances qui leur permettaient de combiner leurs efforts contre un péril commun aussi manifeste. Grâce à la fermeté du roi Louis-Philippe et de ses ministres, le danger put être conjuré jusqu’à la fin. Déjà cependant en 1840 nous avions failli nous trouver engagés dans le conflit le plus inégal, le plus insensé, contre l’Europe et l’Angleterre réunies; en 1844, la situation s’annonçait comme plus redoutable encore.

La politique de lord Palmerston sur la question égyptienne n’avait point été très vivement adoptée par son pays, qui avait laissé faire l’aventureux ministre plutôt qu’il ne l’avait encouragé. On pourrait en dire au moins autant des puissances européennes, à l’exception de la Russie, qui cherchait avec empressement alors toutes les occasions de témoigner son hostilité contre la France. En 1844 au contraire, c’était l’Angleterre elle-même qui, s’insurgeant contre ce qu’elle considérait comme une série de provocations, se précipitait au-devant d’une lutte qui lui semblait éventuellement inévitable. Ce n’était plus un seul ministre poursuivant une politique imprudente au dehors, et personnellement peu agréable aux anciens alliés de la Grande-Bretagne; c’était un ministère essentiellement pacifique et jouissant de leur confiance intime qui, après s’être sincèrement efforcé de rétablir la bonne intelligence avec la France, renonçait hautement à son œuvre. M. de Nesselrode se trouvait alors même en Angleterre. Nul doute qu’il n’ait répété, sous une forme plus diplomatique, les paroles prononcées quelques mois plus tôt par l’empereur Nicolas dans une revue que lui offrait la reine Victoria. « J’ai peu de troupes à montrer, avait dit la jeune souveraine. — En Angleterre peut-être, avait répondu l’empereur; mais je tiens toujours 300,000 hommes aux ordres de votre majesté en Russie. » Il ne s’agissait pas d’un vain compliment. L’empereur Nicolas passait pour désirer réellement une guerre contre la France, avec la sanction et l’appui de l’Angleterre, et bien d’autres en Europe, lassés de la menace perpétuelle qui pesait sur eux, partageaient alors son sentiment. Si les hostilités avaient éclaté en 1844 avec l’Angleterre, conformément aux clameurs insensées qui les provoquaient, elles auraient tardé moins encore qu’en 1840 à devenir générales et à entraîner pour notre