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la phrase pensée. Des corps striés, l’ébranlement se transmet, en suivant toujours l’axe central, aux corps olivaires, qui sont un appareil de coordination, et qui régularisent et dirigent le mouvement. Des corps olivaires partent des nerfs qui vont se rendre aux lèvres, au larynx, à la langue, au pharynx et au voile du palais, tous organes vocaux dont la coopération produit le langage.

Les faits pathologiques nous montrent que ces différens appareils peuvent être détruits séparément, et qu’ils entraînent alors la perte absolue ou totale de telle ou telle fonction. Ainsi le gentilhomme anglais dont parle Forbes Winslow avait conservé la faculté du langage : il écrivait les mots et les phrases qu’il pensait; dès qu’il fallait les parler, il bredouillait des sons confus. Dans ce cas, ainsi que l’admet M. Jaccoud, les corps olivaires seuls devaient être atteints. La faculté du langage était restée intacte; l’appareil vocal n’était pas lésé, mais l’appareil de transmission était profondément altéré.

Dans d’autres cas, c’est l’organe de la pensée lui-même qui est malade. Il est une affection redoutable, bien connue des aliénistes, qu’on appelle la paralysie générale. Cette maladie porte sur la périphérie des circonvolutions qui sont dévorées pour ainsi dire par une inflammation lente, caractérisée par des poussées intermittentes. On peut se rendre compte des désordres qu’elle cause par l’état de l’intelligence des malades. Au début, l’inflammation produit une excitation intellectuelle qui se traduit par des actes furieux. Chaque fois qu’on observe un accès de délire, d’ambition démesurée, on peut presqu’à coup sûr prédire une poussée nouvelle de la maladie; mais à la fin, lorsque toute l’écorce des hémisphères cérébraux est détruite, il n’y a plus ni pensée, ni volonté, ni instinct, et les malheureux restent plongés dans un état de somnolence et de stupeur dont rien ne peut les faire sortir. Ils ne parlent pas, parce que l’organe de la pensée n’existe plus.

Il est donc vraisemblable qu’entre l’organe de la pensée et l’organe vocal il existe un troisième organe, — l’organe de la parole : c’est la lésion de celui-là qui constitue l’aphasie. Cependant certains auteurs ont prétendu que l’aphasie n’existait pas, disant que c’était tantôt la perte de la mémoire, tantôt la destruction de l’intelligence; il convient donc d’examiner ces deux objections : ce sont d’ailleurs des problèmes qui touchent à la psychologie plus encore qu’à la physiologie.

Dans la discussion mémorable qui eut lieu à l’Académie de médecine, M. Piorry affirmait que l’aphasie n’était qu’une amnésie verbale, que par conséquent il était inutile de faire de la faculté du langage quelque chose de spécial. Il semble pourtant que la mémoire ne soit pas par elle-même une faculté nettement délimitée. On ne peut concevoir d’être pensant qui ne possède pas la mémoire;