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le déplaisir et l’hostilité des ultras de la centralisation, et l’animadversion des six grandes compagnies entre lesquelles on avait partagé le territoire. La plupart de celles-ci ne s’accommodent pas du contact de ces petites compagnies indépendantes, à peu près comme les seigneurs féodaux ne supportaient pas que, sur la vaste étendue de leurs fiefs, il se constituât des communes ayant leurs droits propres et leur autonomie. Les grandes compagnies seraient mieux inspirées en se prêtant à la construction des lignes d’intérêt local dans les cas nombreux où celles-ci ne cherchent pas à les supplanter. Par la force des choses, les lignes d’intérêt local doivent de plus être des affluens des réseaux des grandes compagnies, leur procurer directement ou indirectement des voyageurs et des marchandises.

Aux yeux du gouvernement, à partir de 1871 encore plus qu’auparavant, les chemins de fer d’intérêt local semblaient devoir se recommander par de nombreux avantages. En premier lieu ils devaient, ce qui semble considérable, ne rien coûter à l’état, les subsides qui leur seraient nécessaires devant être fournis désormais à peu près exclusivement par les départemens. Ils plaçaient près des grandes compagnies des émules procédant d’une manière différente, et pouvant leur offrir, à l’occasion, des modèles en plus d’un genre. C’était une tentative très rationnelle de décentralisation, qui en réalité ne privait l’autorité supérieure d’aucun pouvoir auquel elle eût lieu de tenir, qui la dégageait d’une responsabilité souvent minutieuse et incommode, et qui devait être très populaire dans les départemens, parce que les chemins de fer d’intérêt local, placés sous le contrôle des préfets et la surveillance des conseils-généraux, ne peuvent manquer de se montrer plus maniables pour le commerce local que les grandes compagnies relevant de l’état, ayant leur siège à Paris, et disposées à regarder du haut de leur grandeur et à traiter comme de petites gens les représentans même officiels de l’industrie, tels que les chambres de commerce.

Au lieu de se rendre à ces raisons, qui sont les grandes, l’administration supérieure s’est laissé influencer par d’autres qui sont les petites. Ces compagnies, qui échappaient à sa juridiction, lui ont semblé des révoltés. On a organisé et déployé un système de dénigrement et de veto à l’égard des chemins de fer d’intérêt local. C’était un parti pris d’empêcher de grandir ces intrus, ces bâtards. On en a immolé un bon nombre. On a fulminé contre eux une circulaire ministérielle adressée aux préfets au moment de la réunion des conseils-généraux en 1873, pièce qu’assurément le ministre qui l’a signée, homme éclairé, a acceptée de confiance sans la lire.

Ainsi pour ce qui est de l’indispensable développement de notre réseau de voies ferrées, l’administration supérieure a fait fausse route.