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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/570

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dans les usages, dans les intérêts; il n’en avait encore presque aucune dans le droit public.


III. — POURQUOI LE REGIME FEODAL A PREVALU.


Au commencement du moyen âge, deux systèmes d’institutions étaient en présence. Dans l’un, les hommes obéissaient à une autorité publique, à des lois générales, à une administration commune : c’était la monarchie; dans l’autre, ils obéissaient individuellement l’un à l’autre en vertu d’un pacte personnel et volontaire : c’était la féodalité. La monarchie était encore la plus forte dans les lois; la féodalité commençait à être la plus forte dans les mœurs. La façon dont elles luttaient entre elles est singulière; les hommes ne s’apercevaient pas qu’elles fussent inconciliables : aussi voyait-on les rois travailler pour la féodalité pendant que les seigneurs ne sentaient pas distinctement qu’ils combattaient contre la monarchie. Quoiqu’elles fussent incompatibles, on prétendait les faire vivre ensemble. Ni les rois de la famille de Clovis, ni ceux de la famille de Charlemagne, n’interdirent aux hommes de contracter le lien de vasselage. Ils espérèrent que la chaîne des vassaux continuerait à remonter d’anneau en anneau jusqu’au roi; ils ne virent pas que, si la féodalité pouvait bien laisser subsister le nom de roi, il était impossible qu’elle ne détruisît pas la royauté.

Ces deux régimes se partagèrent et se disputèrent les hommes durant quatre siècles, vivant en concurrence et se dressant sur le même sol. Chacun pouvait librement choisir entre eux et, suivant son intérêt ou son caprice, se porter vers l’un ou vers l’autre. Gaulois et Germains, petits et grands, tous jouissaient à cet égard du même droit. Celui qui avait adopté d’abord l’un des deux avait encore la faculté de revenir à l’autre : de vassal, il pouvait redevenir homme libre; d’homme libre, il pouvait se faire vassal. Le sol passait de même par les deux états; le bénéfice se transformait incessamment en alleu, l’alleu en bénéfice. Il arrivait ainsi que deux gouvernemens de diverse nature, chacun avec ses règles spéciales et sa discipline propre, étendaient leur réseau sur toutes les parties du territoire, se joignant et se heurtant partout, ayant chacun en quelque sorte un pied dans chaque canton, dans chaque famille, dans chaque existence humaine. Cette singularité n’est pas propre à la Gaule; on la trouve dans toutes les sociétés de ce temps-là. Elle se rencontre chez les Visigoths d’Espagne et chez les Anglo-Saxons aussi bien que chez les populations gallo-franques. Du VIIe au IXe siècle, toute l’Europe hésita entre le régime de l’état ou de l’autorité publique et le régime du patronage ou de la féodalité.

D’où vient que ce fut ce dernier qui prévalut à la fin? On ne peut