suite apporter une preuve éclatante que les humbles ne cessent d’avoir une part des biens de la nature, nous n’aurons nul besoin de recourir à l’imagination. Sur ce point, l’étude scientifique a déjà fait jaillir quelque lumière. La plus surprenante variabilité dans le développement de l’individu se manifeste chez les espèces d’une famille entière de la classe des insectes. Tout le monde connaît un peu le plus gros coléoptère de notre pays : le grand cerf-volant. Les énormes mandibules du mâle, souvent comparées à la ramure des cerfs, ont inspiré également l’appellation vulgaire et le nom zoologique (Lucanus cervus). Autrefois les amateurs, recherchant les cerfs-volans ou lucanes qui le soir prennent leurs ébats au voisinage des grands arbres, constataient avec surprise de prodigieuses différences dans les proportions du corps, dans le volume de la tête, dans la puissance et la forme des mandibules, dans la largeur du corselet des individus. Entre les plus gros et les plus petits, les observateurs ne pouvaient se résoudre à voir des frères. L’investigation se poursuivit, et bientôt on sut que les cerfs-volans robustes ou chétifs ont une origine commune. En effet, tous les ans au milieu d’une forêt, souvent dans le même tronc d’arbre, habitent des larves de lucanes, quelquefois sans doute nées de la même mère, et le développement de ces insectes s’effectue d’une manière tellement inégale que parmi les adultes les uns auront un volume double, triple ou quadruple de celui des autres. En Afrique, en Asie, dans les îles de la Mer du Sud, en Australie, en Amérique, il existe des espèces particulières de cerfs-volans, et chacune est représentée par des individus fort dissemblables sous le rapport de la taille comme sous le rapport de la puissance et de la configuration des mandibules. Il n’est pas de naturaliste qui n’ait présente à l’esprit l’étonnante diversité des individus dans le monde des lucanes, diversité permanente dans toutes les parties du globe et dans toutes les conditions où vivent ces insectes. Mâles et femelles, vigoureux ou chétifs, rongent le même feuillage et concourent ensemble à perpétuer l’espèce. Où donc ici trouver l’apparence d’une sélection?
Dans le règne animal, les espèces de lucanes ne sont pas les seules qui, sans le moindre changement d’existence, offrent de surprenantes variations individuelles; les gros scarabées pourvus de cornes fournissent le spectacle d’une diversité presque égale, incessamment renouvelée dans les mêmes proportions. M. Darwin se garde de mentionner de pareils exemples où l’on puise la preuve que la nature n’est nullement impitoyable pour les plus humbles parmi les êtres. Les nécessités de la cause l’obligent à ne pas s’écarter du monde imaginaire. Le rêveur y découvre un phénomène complexe. Supposons, dira-t-il, une plante dont la fleur fournit une liqueur