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modèles, des carabines anglaises, si estimées il y a trente ou quarante ans, de brillantes espingoles, des baïonnettes, des pistolets, les uns richement damasquinés, les autres sans aucun ornement, enfin de longs couteaux au manche incrusté de cuivre tels qu’en portent les Catalans ou les Aragonais. Je pensai que ce devaient être là d’anciens compagnons du maître de céans, des reliques de la guerre carliste; mais ce qui me surprit bien davantage, ce fut de voir au milieu de ces armes accrochées en rond à la muraille, au centre de ce formidable arsenal, le portrait en miniature d’une très jolie femme. Une petite tête brune avec de grands yeux bleus, un visage arrondi, des traits mêlés de grâce et d’énergie. Elle était coquettement coiffée d’un petit chapeau de paille, et le costume rappelait à peu près les dernières années de la restauration, avec je ne sais quoi de local dans les ornemens du corsage.

La peinture, délicatement traitée, ne portait pas de signature, et je ne me serais pas attendu à trouver cet objet d’art dans la maison d’un montagnard basque. Les armes l’entouraient de si près qu’on ne pouvait se méprendre sur l’intention qui avait disposé autour du portrait cet encadrement guerrier. Au-dessous de la peinture en outre était suspendue par son ruban rouge une croix de l’ordre militaire de Saint-Ferdinand. Il y avait là, à n’en pas douter, de chers souvenirs réunis ensemble, quoique bien différens; l’embarras était seulement de les démêler. Je contemplais tour à tour ces armes, qui auraient pu raconter bien des combats, et la charmante figure. A vrai dire, elle ne semblait pas trop étonnée de se trouver là, car je lisais dans son regard et sur ses lèvres le courage et la fierté plus encore que la douceur. Quelqu’un entra dans ma chambre et me posa doucement la main sur l’épaule; je tressaillis. — Bonjour, lieutenant, me dit en riant Sorrondo. Avez-vous bien dormi?

— A merveille, mon cher hôte. J’admirais vos armes; elles sont vraiment curieuses et très précieuses, je suppose...

— Oui, certes, s’écria Manuel, elles ont toutes été portées par moi ou par quelqu’un des miens. Ces sabres ont bu le sang des christinos, et ces trabucos ont couché par terre bien des soldats du premier empereur.

— Ah ! dis-je, c’est très curieux, en effet. Vous avez là aussi une bien jolie peinture, un portrait de famille sans doute?

Sorrondo changea brusquement de visage et fixa sur moi son regard pénétrant, puis il reprit avec un sourire triste : — Vous avez raison, un portrait de famille!.. Elle vous semble belle?.. Que diriez-vous, si vous l’aviez connue elle-même?..

Je ne trouvai rien à répondre, et Manuel, reprenant tout à coup sa gaîté : — Allons, jeune homme, faites votre toilette aussi vite que si vous étiez en campagne. D... nous attend pour déjeuner.