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tout autour de moi des murmures de colère. — Tâche donc de me battre, dis-je à Garmendia. Tu dois une revanche aux Labourdins, et c’est moi qui vais la prendre. Je te défie, toi et tous les Guipuscoans.

Un hourra enthousiaste accueillit ces paroles. Garmendia ne put pas reculer. Les jeunes gens de Sare et quelques autres se joignirent à moi, le jeu recommença avec les juges de la première partie, et je dirigeai presque tout le temps la défense, placé au pied de l’errebota, ce grand mur qui est au fond de la lice : c’est le poste le plus difficile. J’appris ce jour-là ce qu’un homme peut faire sous le regard de celle qu’il aime, et jamais, si ce n’est dans quelques batailles, je n’ai été aussi enivré de la lutte. Les applaudissemens éclataient sans cesse, et l’argent des parieurs tombait à terre de tous côtés. La partie fut disputée jusqu’à la nuit, et le dernier point nous resta au milieu des bravos et des fanfares. Vous pouvez vous figurer ma joie et mon orgueil lorsque dans la foule qui m’entourait pour me féliciter je vis venir à moi Errecalde et sa fille. Le maire d’Ascain apprécia mes meilleurs coups en connaisseur, et, me prenant par la main, me dit d’un ton solennel : — Jeune homme, si vous continuez ainsi vous serez l’honneur de nos jeux de paume, où les Basques d’Espagne dominent depuis trop longtemps. Vous ferez revivre l’ancienne gloire des Perkaïn et des Carrutchet. — Je remerciai le digne homme; mais le sourire dont Mlle Errecalde accompagnait les souhaits de son père me touchait davantage.

Je n’étais pas quitte avec Garmendia. Il sortit de l’arène avec ses compagnons en me jetant un regard farouche, sans dire un mot; le soir, il me chercha par les rues de la ville, et, m’ayant rencontré, me provoqua le makila à la main. Nous nous battîmes, et je ne sais trop qui aurait eu le dessus sans l’arrivée des gendarmes. Garmendia me dit en s’éloignant : — Mûtil (garçon), rappelle-toi que je suis ton ennemi. Quelque part que je te rencontre, tu me paieras chèrement tes avantages.

Le malheureux ne disait que trop vrai, et l’on ne peut penser sans frémir à ces lois terribles de notre destinée qui trouvent dans nos plus beaux jours la source d’un malheur ; cependant que m’importait alors la menace de Garmendia ?

Le lendemain de la fête, comme la foire durait encore, je me promenais sur la place du Château remplie de toute sorte de marchands, et j’avisai de loin l’étalage d’une bohémienne, d’une de ces servantes du diable qui vont jusqu’en Espagne chercher leur pacotille, jarretières brodées, éventails, philtres d’amour. Une jeune fille était là, seule, à regarder curieusement je ne sais quels brimborions. Je reconnus Mlle Errecalde, et, rassemblant tout mon courage, je vins aussi rôder autour de la boutique. La jeune fille me salua d’un signe de tête gracieux et me dit en rougissant :