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monde officiel, il vous parlera avec un sourire de dédain de ces productions sans valeur à ses yeux, et retournera dévotement à ses hiéroglyphes; il n’en est pas moins vrai que c’est là qu’il faut étudier le Japon pour le connaître. Laissons donc le docteur dans son cabinet et rendons-nous au théâtre.

Pour l’étranger, le spectacle commence avant même d’être entré dans la salle. La façade d’un théâtre se reconnaît facilement à sa hauteur tout à fait inusitée, à la petite loge en forme de grande hune qui le surmonte au centre et d’où le guetteur doit signaler les incendies, aux deux petits guichets très bas qui servent d’entrée et que surveillent deux caissiers accroupis, entourés de piles de petite monnaie. De larges bandes de toile brossées à grands coups de vermillon d’or et d’encre de chine représentent en grandeur naturelle les principales scènes de la pièce du jour. Cette affiche parlante ne change pas ici tous les jours, le répertoire n’étant ni très étendu, ni très varié. Les entrepreneurs jouent régulièrement pendant un mois de suite le même drame, après quoi ils passent à un autre, suivant les demandes d’un public passionné. Il y a plusieurs théâtres à Yeddo. Ceux de Shimabara et de Naka-Bashi, égarés au milieu de la ville, ne reçoivent qu’un public de hasard. La véritable fashion se rend de préférence à l’une des scènes d’Asaksa.

Il est difficile de nommer ce lieu célèbre sans entrer dans quelques détails. Si, après avoir franchi la porte du nord et l’enceinte de la ville, on remonte la rive droite de la rivière pendant 2 kilomètres, à travers des faubourgs populeux et animés, on arrive à un portique de pierre suivi d’un chemin dallé, qui donne accès dans une vaste enceinte peuplée de monumens religieux, temples, chapelles, pagode, bonzerie, sans compter une multitude de petites constructions d’un caractère infiniment moins sacré. C’est Asaksa. Là se donnent rendez-vous la dévotion et le plaisir, les vieux croyans et les jeunes libertins. Les diseurs de bonne aventure se mêlent aux marchands d’amulettes ou de prières tout imprimées qu’on lance en boulettes à la face de la déesse Quannon; à côté des somnambules qui vous renseignent sur les morts et les absens, on trouve les poupées géantes de cire et de bois; les ménageries font face aux tirs à l’arc, où vous invitent en passant des jeunes filles surveillées par des mères équivoques. Au-delà, on aperçoit une nouvelle ville, dont Asaksa n’est que l’annexe, c’est le Yoshivara, ce vaste enclos où de tout temps les Japonais ont cloîtré, installé, enrégimenté un vice qui dépare souvent l’aspect de nos capitales. Sur la droite sont les shibai-ya[1]. C’est dans ce quartier, où

  1. Shibai, emplacement gazonné; ya, maison. Cette expression vient de ce que les premières scènes dramatiques furent jouées sur un tertre de gazon à la porte des temples.