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venus se cacher derrière l’idole de Jizo et écouter l’entretien. Ceux-ci en ont trop entendu pour échapper vivans; les deux samouraïs les égorgent, et la toile s’abaisse sur leurs deux cadavres. Voilà l’exposition terminée. Les spectateurs ne pourront pas se plaindre d’être mal informés, et les retardataires arrivés depuis une demi-heure en savent autant que les intrépides arrivés deux heures avant.

Le second acte est purement épisodique, mais il nous offre un tableau de famille assez émouvant pour soutenir l’attention. Il s’agit de savoir si Goro, le plus jeune des fils de Sôga, prendra part à la vengeance ou si son frère aîné Juro en sera chargé seul. Nous sommes dans l’antique demeure de Sôga, autrefois peuplée de nombreux vassaux et entourée d’éclat, aujourd’hui déserte et ruinée. L’aïeul des Sôga a été dépouillé par le père de Yoritomo, leur père a été tué par Kudo. A peine quelques serviteurs demeurés fidèles au malheur entourent la vieille Manko, leur mère, la femme forte, qui a nourri ses enfans d’un lait trempé de fiel. Deux campagnards, ses anciens tenanciers, viennent précisément lui apporter, en l’honneur du jour des morts, des œufs et des gâteaux, présent ordinaire des pauvres gens, et ces présens sont disposés sur l’autel préparé dans l’appartement pour les sacrifices à la mémoire du chef de la famille. Katakaë veut saluer sa mère en ce jour de deuil, tandis que ses frères et les kéraïs sont allés prier au tombeau de Sôga, d’où ils ne tarderont pas à revenir. Le dialogue des deux femmes nous montre l’accablement et la tristesse qui les obsèdent en un pareil jour. Il nous apprend un détail utile à retenir, c’est que la veuve est frappée d’un genre particulier de cécité; un voile lui tombe sur les yeux à la chute du jour.

Le troisième fils de Sôga, Zenzibos, survient. Son costume indique qu’il est prêtre. Son frère Goro, dit-il, a été repoussé par sa mère, parce qu’il n’a pas voulu embrasser l’état ecclésiastique et qu’il poursuit ouvertement sa vengeance sous le costume compromettant de samouraï. Il a arrangé une petite fable avec laquelle il espère convaincre sa mère des inconvéniens du vêtement sacerdotal. Il lui raconte en effet qu’il a été insulté par un marchand et forcé de manger de la chair contrairement à la règle de son ordre; s’il portait un sabre, cela ne lui fût pas arrivé. « Oui, mais si vous portiez un sabre, dit la mère, vous seriez forcé de vous en servir tout de suite, et mieux vaut attendre. » (Sortie de Manko.)

Le fils aîné, Juro, vient rejoindre la famille. On se demande comment obtenir la grâce de Goro, éloigné par sa mère, et la permission pour lui de prendre part à la vengeance. Le jeune Goro pendant ce temps use, dans le même dessein, d’un stratagème de sa façon. Stylée par lui, une femme de la cour, sa maîtresse, Shosho, vient, escortée d’un prétendu officier, saluer la vieille Manko de la