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Le dernier acte du drame contient au contraire l’expression la plus haute de ces sentimens chevaleresques qui ont fait la gloire de l’aristocratie militaire et la popularité de ses héros : le souverain mépris de la mort, le respect du courage malheureux, la clémence envers l’ennemi terrassé, le dédain envers les vainqueurs tout-puissans. La mémoire populaire est pleine de ces réponses énergiques, parfois jusqu’à la grossièreté, comme il nous en revient des champs de bataille. « Rendez-vous, crient les Coréens à un général enfermé, comme le dernier carré de Waterloo, dans un cercle d’ennemis ! — Venez goûter la chair de mes fesses ! » s’écrie le héros en tombant percé de coups.

En réalité, pour nous, l’action est terminée. Il s’agissait de tuer Kudo. Qu’on nous montre le meurtre, ou qu’un serviteur vienne nous en faire le récit, et tout est dit ; mais il n’en va pas ainsi pour le public de Yeddo. C’est une biographie qu’on lui doit ; il la lui faut complète, et que pas un mot historique n’y manque. — Dans une salle du camp de Yoritomo, des hommes d’armes s’entretiennent avec Kadjuwara, chargé d’une enquête sur les crimes de la nuit. Non contens d’avoir immolé Kudo, les deux frères ont pénétré chez le shiogoun et ont essayé de le tuer à son tour. Juro est mort dans la lutte, Goro a été fait prisonnier par un chef des gardes nommé Gummaru, et on l’amène chargé de chaînes. « Pourquoi le tenez-vous vous-même ? s’écrie brutalement Kadjuwara, la lâcheté triomphante, — n’est-ce pas affaire aux soldats ? — Non, répond Gummaru, Goro est de sang princier, et ses chaînes ne doivent pas être portées par un simple garde. — Lève la tête, » dit Kadjuwara au prisonnier, et, comme le malheureux ne peut soulever ses chaînes : « Ah ! tu n’oses pas montrer ton visage ! C’est en effet celui d’un lâche. Cette nuit, pourquoi t’es-tu enfui quand je te poursuivais en t’appelant ? — J’avais affaire ailleurs ; vous savez où. — Pourquoi ces outrages ? interrompt Gummaru, vous êtes chargé de faire un interrogatoire, faites-le. — Eh bien ! pourquoi, après Kudo, as-tu essayé de tuer le shiogoun ? — Yoritomo a tué mon grand-père, contre lui aussi je nourrissais une haine profonde ; l’homme né d’un guerrier ne doit pas regarder à la vie, tant qu’il a une vengeance à poursuivre. » À ces mots, Kadjuwara feint de ne plus pouvoir se contenir et s’élance, le sabre à la main, sur le jeune homme ; mais le chef des gardes l’arrête : à Yoritomo seul appartient de décider du sort du prisonnier, que Kadjuwara attende.

En ce moment, la toile du fond se soulève et Yoritomo apparaît entouré de toute sa cour. Son premier mot est pour blâmer la violence de Kadjuwara, et donner au prisonnier une marque honorifique en lui faisant apporter un tapis pour s’asseoir. Cette vue réveille un souvenir chez Goro. « Une fois déjà, il y a quatorze ans, je fus fait