Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/809

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Tant mieux !

Elle me prépara dans la chambre où nous nous trouvions un excellent lit de foin, comme on n’en rencontre guère chez les paysans galiciens, me donnant en guise de superflu un grand manteau pour couverture.

— Et où dormez-vous, Théodosie?

— Tout à côté.

La maison avait deux chambres comme celles de la plupart des paysans riches.

— Bonne nuit, dit-elle, et prenez garde à vos rêves; ils se réaliseront parce que vous dormez pour la première fois sous ce toit. Bonne nuit !

Elle sortit et ferma la porte, mais non pas à clé. Je l’entendis se déshabiller, s’étendre sur son lit. Elle reposait paisiblement, sans souci, sans même y penser, à deux pas de moi. Cette femme n’avait besoin de protection ni contre les autres ni contre elle-même. Bientôt elle respira plus profondément comme dans le sommeil. La maison était silencieuse ; on n’y entendait plus que le cri familier du grillon.

Après minuit, je fus réveillé en sursaut cependant par un autre bruit. Des poings vigoureux frappaient à la porte du moulin, des voix retentirent. Encore assoupi, je ne pus d’abord distinguer les paroles; tout à coup il me sembla reconnaître la voix de Cyrille. Plus de doute,... il demandait à entrer; Théodosie devait donc être... Sous un jour nouveau m’apparut cette prudente et hautaine personne. Qu’elle savait bien persifler et rire, cruelle comme un démon ou comme un bourreau russe qui accompagne le knout de railleries sanglantes] Théodosie refusait de tirer les verrous.

— Je brise la serrure ou j’enfonce la porte, à ton choix! cria Cyrille.

— Comme tu voudras, mais n’oublie pas que les chiens sont lâchés. Je n’ai qu’à les appeler.

— Laisse-moi entrer, Théodosie, tu me connais; si je veux entrer, il n’est rien qui puisse m’arrêter ou me faire peur.

— Es-tu ivre, vaurien, voleur? Va-t’en! j’appelle les chiens.

— Je ne suis pas ivre, je suis amoureux fou, répliqua Cyrille en s’appuyant contre la porte.

La belle meunière éclata d’un rire inextinguible. — Eh! Betyar! Holà! Sultan! Sultan!

— N’appelle pas les chiens, ou je les étrangle.

— Toi? Et que veux-tu? demanda ironiquement Théodosie.

— Je t’apporte des nouvelles, nous causerons;... point de simagrées, Théodosie ! Tu sais bien qu’un voleur ne peut pas venir à la clarté du soleil chez toi, la riche veuve orgueilleuse. C’est pourquoi je viens la nuit,... en tout bien tout honneur.