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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/810

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— Tu parles d’honneur, pendard !

— Moins de discours et ouvre, il fait si froid dehors !

— Dieu veuille que tu gèles. — Théodosie se remit à rire. — Ne fais pas de bruit; il y a un seigneur chez moi, ne l’éveille pas.

— Ici, un seigneur! s’écria Cyrille. N’as-tu pas pitié de moi?

— Point du tout.

— Théodosie!

— Quoi encore?

— Je suis à genoux dans la neige, supplia Cyrille. Je t’en prie par la miséricorde de Dieu, laisse-moi entrer!

— Ah! tu as changé de ton, répondit-elle; le loup s’apprivoise.

— Ouvre !

— A la bonne heure! si cela te fait plaisir. — Elle se leva, j’entendis bruire ses vêtemens, un rayon de lumière filtra par une fente de la cloison. Le verrou fut tiré, la clé cria et le brigand entra chez la belle et riche veuve. — Es-tu content? demanda-t-elle d’un ton moqueur.

— Et toi, tu n’es pas contente? fit Cyrille.

— Plus bas, quelqu’un dort, je te l’ai déjà dit, dans la chambre à côté.

Elle prononça mon nom, ils parlèrent à voix basse quelque temps, puis leurs voix s’élevèrent; le rayon lumineux glissait toujours comme une ligne de craie blanche sur le plancher. Je ne pus m’empêcher de regarder par la fente. Théodosie était assise tout habillée sur le lit, et Cyrille à côté d’elle la tenait embrassée. — Laissons cela, disait cette étrange femme avec force, je n’en veux jamais entendre parler.

— Pourquoi? ne m’aimes-tu pas? n’es-tu pas à moi?

— Je t’aime et je n’en ai jamais aimé d’autre.

— Pas même ton mari?

— Je ne l’avais pris que parce qu’il avait une belle terre, beaucoup de chevaux et de bétail.

— Et moi, je l’ai tué pour cela, dit Cyrille devenu sombre.

— Crois-tu que j’en sois fâchée? fit Théodosie avec une moue dédaigneuse. Depuis lors je suis libre et j’ai mis le temps à profit. Tandis que tu étais en prison, je me suis amusée.

— Tais-toi! — Les veines de la colère se gonflèrent sur le front de Cyrille.

— Allons! allons! — Elle le regarda et sourit pour la première fois d’un air de pitié tendre, puis, l’ayant embrassé, appuya sa tête sur son épaule. — On ne saurait croire combien je t’aime, dit-elle; j’ai congédié un grand seigneur comme tu arrivais, je l’ai congédié à cause de toi, uniquement à cause de toi.

— Pourquoi donc ne veux-tu pas être ma femme?