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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/811

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— Ta femme? — Elle se remit à rire de tout son cœur. — Mais, Cyrille,... ris donc aussi.

Il ne riait pas. — Pourquoi? répéta-t-il; parle, ne mens point. Pourquoi?

Théodosie sans répondre se leva brusquement et se promena par la chambre : sa jupe voltigeait, sa poitrine se soulevait courroucée, ses yeux lançaient des flammes vertes.

— Eh bien! quand le pope doit-il annoncer notre mariage?

— S’il monte en chaire, ce sera pour publier que tu es un fou et un fou vaniteux.

— Je voudrais savoir lequel de nous deux a de l’orgueil, s’écria Cyrille. Fais la dame, mais pas avec moi, autrement... Il leva son poing fermé.

— Autrement? — Théodosie ne sourcilla pas; elle vint le regarder dans les yeux avec mépris.

— Autrement tu sentiras ma main, orgueilleuse diablesse!

— As-tu fini? interrompit froidement la belle meunière, et veux-tu entendre encore une fois mes raisons? Tu dis que j’ai de l’orgueil. Est-ce en avoir que de t’ouvrir ma porte comme aujourd’hui?

— Viens avec moi chez le prêtre, si tu as du cœur, insista Cyrille.

— Je t’aime, répondit-elle, n’est-ce pas assez? Tout le monde me condamnerait, si je devenais la femme d’un voleur.

— Et pourquoi serais-tu condamnée? Peut-être parce que j’ai porté des chaînes pour l’amour de toi, ingrate!

— Non, ce n’est pas là le motif, répondit Théodosie inflexible; tu étais un honnête garçon, et je n’ai pas voulu de toi; tu es devenu un vaurien, et je ne veux pas de toi encore, parce que j’ai quelque chose et que tu n’as rien.

Cyrille partit d’un rire de frénétique : — La vieille histoire toujours; voilà à quoi sert la propriété.

— En effet, répliqua Théodosie avec une logique cruelle, ce moulin, ces champs, ces prairies, ces bois, m’appartiennent, j’ai à moi dix-sept vaches, huit bœufs, quatre chevaux, sans compter la volaille, et près de trois mille florins qui sont rangés dans ce bahut. Toi, qu’est-ce que tu as? Ce que tu dérobes à autrui; rien, sauf la misère, n’est à toi, mendiant, voleur, meurt-de-faim!..

Cyrille s’était dressé debout, en roulant des yeux terribles. Il haletait : — Ah ! je ne suis pas trop vil pour qu’on me prenne pour amant, dis?

— Mon Dieu, non ! quoique je ne sache pas moi-même... — Elle haussa les épaules avec un dédain qui me glaça le sang; mais je ne te prendrais pas pour mari. Je prendrais plutôt du poison, entends-tu?..

Elle s’interrompit. Cyrille était retombé sur le lit et il pleurait.