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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/822

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qui descend d’un nuage ou à quelque démon superbe vomi par l’enfer. D’un œil farouche, égaré, elle regarda autour d’elle : — C’est l’œuvre de Cyrille, dit-elle. Aidez-nous! sauvez-nous! Où est Larion? Sauvez le bahut... le bahut rouge! Cent florins à celui qui me l’apporte!

Larion accourut à son tour, les cheveux et les sourcils brûlés, la figure noire de suie : — Où es-tu, Théodosie?

— Sauve le bahut ! cria-t-elle de nouveau; il y a trois mille florins dedans et des papiers qui sont à moi et à toi.

Larion replongea dans la fumée.

— A moi ! commanda Théodosie. — Saisissant une lourde perche, elle essaya de forcer la porte de la maison; je courus l’aider. Sur ces entrefaites éclata un cri perçant : — Arrière! le toit s’effondre!

J’entraînai Théodosie, les braves jeunes gens qui étaient sur le toit sautèrent ou se laissèrent glisser par terre : un brait confus, mais épouvantable, se fit entendre, le moulin chancela sur sa base,... la toiture enflammée s’écroulait.

— Où est Larion? cria Théodosie. Est-il mort?

On le chercha sous les débris calcinés, mais en vain; il n’était pas non plus dans la cour, ni parmi ceux qui faisaient la chaîne. Enfin on le trouva derrière la maison, renversé sur le dos; le sang ruisselait de son front, s’attachait à sa chemise en caillots énormes et formait deux flaques à ses côtés. Près de lui se trouvait le bahut brisé : aucun des papiers n’était dedans.

— Il est mort! entendis-je crier.

— Qui?

— Larion.

Théodosie se précipita sur le cadavre. — Une poutre l’aura tué au moment où il cherchait à sauver les papiers, dit Hryn Jaremus. Voici le bahut.

— Cyrille l’a tué! s’écria Théodosie. Regardez la blessure... et le bahut est vide. Il a volé les papiers... et il l’a tué.

Nous renonçâmes à éteindre le feu. Les communs s’écroulèrent l’un après l’autre. Bientôt le moulin de Théodosie ne fut qu’un amas de ruines d’où sortaient de la fumée et des flammes, et elle, assise sur une pierre, appuyait sur ses mains son visage pâle, pétrifié, sans voir, sans entendre, sans prononcer un mot;... mais elle ne pleura pas.


VII.

Le lendemain, je me rendis de bonne heure sur le théâtre de l’incendie. Quelle fraîche et joyeuse matinée se levait sur ces tristes décombres d’où sortait toujours avec des étincelles une fumée semblable aux vapeurs de l’enfer ! Le ruisseau courait insouciant, il