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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/839

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cela est sorti d’une idée nette, franche, entièrement neuve, sans le plus petit souvenir des monumens de même genre des siècles précédens, et non-seulement l’œuvre est nouvelle par la conception de sa forme et de ses dispositions, mais, chose plus singulière, elle est moderne par son caractère, et donne pleine satisfaction à l’esprit démocratique du temps actuel. Le monument a la forme d’une belle chapelle ouverte, dont l’accès est défendu par une grille qui permet d’observer tous les détails sans qu’il soit besoin d’y pénétrer. Cette chapelle, entièrement blanche et toute gaie du soleil qu’elle reçoit à flots, est ornée sobrement de décorations dans le goût de la renaissance, surtout dans le goût si pur et si fin de la chapelle du château d’Amboise, que semble avoir pris pour modèle l’auteur de ces moulures, jeune sergent de l’armée française dont je regrette de ne me rappeler ni le nom, ni le régiment. Au centre, une dalle de marbre posée à plat, faisant partie du pavé, présente en lettres incrustées d’un cuivre brillant ces simples mots : Ci git un soldat. Aux deux côtés de la plaque s’élèvent deux grandes statues : l’une est celle d’un petit fantassin français légèrement appuyé sur son fusil obliquement incliné, l’autre celle d’un dragon raide et droit avec son sabre au port d’armes; placés comme ils le sont aux deux côtés de la plaque funèbre, ils ont l’air de monter la garde de l’éternité à la porte sépulcrale du maréchal, et c’est en effet là l’idée qui lui a inspiré cette décoration originale. Je ne suis même pas très sûr que cette idée n’ait pas reçu une exécution mieux que métaphorique, car il me semble bien me souvenir que, par une clause de son testament, le maréchal avait voulu que le premier cavalier et le premier fantassin de sa division dont la mort coïnciderait avec la sienne fussent ensevelis, l’un à sa tête et l’autre à ses pieds. Si cette clause vraiment noble et digne d’un chef militaire a été exécutée, c’est en toute réalité que les deux soldats montent dans la mort la garde auprès de leur maréchal. On le voit, c’est bien plutôt un monument élevé en l’honneur de l’armée française qu’en l’honneur du chef militaire qui l’a fait construire ; le maréchal s’y efface volontairement devant le simple troupier de son commandement : pour lui, rien qu’une dalle de marbre avec une simple mention qui, taisant un vieux nom et une dignité qui n’a pas de supérieure, ne lui accorde d’autre titre militaire que celui des plus humbles et des plus petits; pour le troupier au contraire, le luxe de l’art et une touchante camaraderie au sein de la mort. Qui se serait jamais attendu de la part du maréchal de Castellane à un si volontaire effacement de la personnalité? Ce tombeau s’élève, dis-je, en face d’un des plus beaux paysages des environs de Lyon, sur une route construite par les soldats mêmes du maréchal, en sorte que ce