sont les propres auteurs de cet ouvrage qui se sont chargés d’en conserver le souvenir par la plus durable des prises de possession.
Le soir où je parcourus cette route, il faisait un soleil superbe, sous lequel elle resplendissait d’une blancheur lumineuse qui contrastait vigoureusement avec le vert joyeux des montagnes. Tout dans la nature avait pris un air de bonheur, même les choses de mine chagrine ou d’aspect austère. D’en haut, je regarde la petite île Barbe; avec ses bords noyés par le flot, sa vieille église, son château-fort et ses rochers, qui pour être de petite taille n’en sont pas moins aussi ardus et aussi âpres que s’ils étaient gigantesques, elle me donne l’impression d’une jeune paysanne méridionale, échevelée, vêtue à la diable, s’abandonnant à la joie de vivre avec une véhémence sauvage et interrompant par intervalles ses bondissemens pour aller plonger ses pieds dans la Saône. Je descends dans l’île; Charlemagne s’est assis, dit-on, sur ces rochers pour regarder défiler son armée sur les rives de la Saône. Plus tard ils ont supporté un château-fort; avec le temps, le château-fort s’est transformé en moderne caserne, et je vois nos jeunes troupiers qui les montent ou les descendent pour aller prendre la provision d’eau nécessaire au puits creusé à leur pied par le grand empereur ou pour la rapporter. Cependant tous ces souvenirs authentiques ou légendaires me préoccupent peu; le temps est si beau que la nature étouffe l’histoire et la fait oublier : aussi, m’avançant jusqu’à la pointe extrême de l’île, je préfère aller regarder le soleil se coucher dans la Saône. Le paysage qui se présente ici devant nous est un paysage par excellence classique, c’est-à-dire aux proportions larges et régulières; la belle Saône coule à l’aise sur un lit fait à ses dimensions, toute pareille à une beauté orientale qui voyage doucement sur un palanquin ou un lit de repos porté à bras. Les rives, en exacte proportion avec l’ampleur du fleuve, sont arrêtées à l’est par les faubourgs de Lyon, à l’ouest par une suite de collines qui se continue jusque par-delà Fourvières, juste au point voulu pour donner à l’étendue des dimensions majestueuses. Le calme heureux qui s’était emparé ce soir-là de toute la nature et qui la tenait comme voluptueusement engourdie dans un repos tiède et moite s’harmonisait avec ce caractère classique aussi parfaitement que la santé complète s’harmonise avec la pleine beauté. Une lumière à la fois riche et tendre, où dominait une nuance de violet du ton le plus fin et le plus vif, enveloppait le ciel à l’horizon, et teignait de sa couleur les lointaines montagnes, qui avaient l’air de s’être revêtues à leurs cimes d’une vaste robe d’évêque. Il ne faudrait chercher plus haut rien de pareil à cette splendeur, car c’est ici le point précis où la lumière du midi naît ou expire selon la région d’où l’on vient, naît si l’on descend du