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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/892

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les privilèges de la province contre les usurpations du souverain. Après l’émancipation, il continua de veiller à la défense de l’autonomie provinciale. Il présidait aux travaux des états provinciaux, les convoquait, leur exposait les affaires à traiter, tenait les procès-verbaux et la correspondance, surveillait l’administration en général et en rendait compte aux états. Le pensionnaire de Hollande, ayant droit de siéger dans toutes les commissions, même dans celle des affaires étrangères, exerçait une influence prépondérante en rapport avec l’importance de la province qu’il représentait. Il négociait avec les agens des puissances et ainsi faisait les fonctions d’un ministre des affaires étrangères. Par son influence personnelle, il entraînait les votes des députés et les amenait à une entente indispensable à l’expédition des affaires. L’autorité et l’expérience qu’il acquérait dans le maniement constant des affaires publiques, la connaissance des précédens, la sécurité de sa position, tout lui permettait une action bien autrement efficace que celle d’un ministre parlementaire, passant aux affaires sans avenir certain, toujours en lutte d’éloquence ou d’influence contre l’opposition, à la merci d’une majorité souvent douteuse, exigeante, ingouvernable. Quelques-uns des grands-pensionnaires de Hollande peuvent être rangés parmi les plus grands ministres de leur temps : Olden Barneveld, Johan de Witt[1], Gaspard Fagel, Anthony Heinsius.

Dans nos institutions, à la fois trop et trop peu démocratiques, nous avons tout abandonné à la mobilité des majorités, sans réserver une place à l’esprit de tradition, à la supériorité de l’intelligence, à la connaissance approfondie des affaires. Sans doute la décision ne peut être enlevée à ceux qui représentent le peuple, mais au moins il faudrait quelqu’un qui eût mission et capacité de les éclairer et de les guider. Or c’est là ce que faisait autrefois le pensionnaire. En étudiant les institutions de la république des Provinces-Unies, qui étaient certainement celles d’un peuple libre, on pourrait trouver ainsi un remède à plus d’un vice du régime constitutionnel.

De l’avis unanime des contemporains, une des supériorités de la Néerlande était que la justice y était mieux rendue qu’ailleurs. Elle l’était en première instance, dans les villes, par les échevins et le

  1. Johan de Witt fut, pendant les vingt ans qu’il resta en fonctions (1653 à 1672), le vrai souverain de la république, comme le fut Périclès à Athènes. Il disposait à son gré des états de Hollande, et deux des autres provinces avaient en lui une si grande confiance, qu’ils lui donnaient pour ainsi dire carte blanche. Ainsi les articles-décrets du traité avec le Danemark du 9 février 1666 ne furent point soumis aux provinces, qui les ratifièrent aveuglément. La triple alliance fut conclue en 1608 de la même façon. Comme le dit M. de La Bassecour, c’est lui qui dirigeait toute l’action diplomatique de son temps. C’est la marque d’un bon esprit chez un peuple de se laisser conduire ainsi par les hommes de bien.