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les pays d’outre-mer. Déjà le fabricant européen envoie ses rouges d’aniline à l’Amérique centrale, qui produit la cochenille, ses bleus dérivés du goudron à l’Inde, la patrie de l’indigo ; à la Chine et au Japon, il fournit d’autres couleurs qui remplacent le quercitron et le carthame, que l’on tirait de ces pays.


I.

La houille, c’est un stock de chaleur, c’est-à-dire de travail mécanique, accumulé dans les entrailles de la terre ; une mine de houille, c’est la possibilité d’accroître pour ainsi dire indéfiniment les ressources d’un pays par l’essor de l’industrie, par la multiplication des produits de tout genre et par la facilité de les écouler. Le charbon est l’âme, le ressort moteur de l’industrie moderne, et, comme si ce n’était pas assez de ce grand rôle, dans la main des chimistes il se prête aux plus merveilleuses transformations ; on en tire le plus splendide et le moins cher de nos éclairages, un agent médical nouveau dont les applications s’étendent chaque jour, des substances explosives d’une formidable énergie, enfin les couleurs sans rivales qui tendent à supplanter les matières tinctoriales les plus renommées dont le privilège séculaire semblait à l’abri de toute contestation. Le gaz d’éclairage, l’acide phénique, les picrates, l’aniline, l’anthracène, ont ajouté une vaste province à l’immense domaine du roi charbon.

À l’exposition internationale de Londres en 1862, le public s’arrêtait, dans la section des produits chimiques, devant une série de vitrines qui de loin attiraient les regards ; c’étaient des étoffes de soie, des cachemires, des plumes d’autruche, dont les teintes parcouraient toutes les nuances des plus splendides couleurs, à côté d’une matière noire, gluante, fétide, aussi repoussante d’odeur que d’aspect. Cette puanteur était la source de ces magnificences ; c’était du goudron de houille, l’un des produits secondaires de la distillation par laquelle s’obtient le gaz de l’éclairage. Négligé autrefois comme matière vile, ce résidu est maintenant une source de revenu, une mine de produits de tout genre dont l’importance ne cesse de grandir. C’est donc à l’adoption de l’éclairage de nos rues par le gaz de la houille que nous sommes redevables de la transformation du charbon en couleur.

Pour obtenir le gaz, on introduit la houille dans de gros cylindres en fonte ou en argile réfractaire, appelés cornue, que l’on place dans un four chauffé avec du coke. La houille est décomposée par la chaleur en gaz, qui, en traversant une série de condenseurs, dépose une grande quantité de matières goudronneuses et ammoniacales, et en