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Les pigmens de la garance ne se fixent directement sur aucune fibre, ils exigent l’emploi des mordans, qui sont d’ordinaire des oxydes métalliques. On obtient ainsi des rouges, des roses, des noirs, des violets et lilas d’un grand éclat, surtout après les opérations fort complexes de l’avivage. Un des dérivés les plus importans de la garance est le rouge turc ou rouge d’Andrinople, dont la préparation a pris naissance dans l’Inde, d’où elle s’est répandue dans le Levant. Il paraît que les toiles blanches à teindre y sont préalablement trempées dans du lait de buffle ou de brebis, et exposées au soleil. Ce mode de teinture, qui fournit un rouge feu d’un éclat et d’une stabilité extraordinaires, a été importé en France par des Grecs vers le milieu du xviiie siècle. Avant de mordancer en alumine, on prépare le tissu à l’aide d’un corps gras, — l’huile tournante, — auquel on fait ensuite subir des modifications spéciales. La théorie de cette opération reste encore à faire et défie la sagacité des chimistes malgré les prix proposés à diverses reprises par des sociétés savantes.

Toute cette belle et importante industrie de la garance est aujourd’hui sérieusement menacée par la découverte de l’alizarine artificielle, qui se fabrique déjà sur une grande échelle au moyen de l’anthracène. C’est en 1832 que cet hydrocarbure fut retiré pour la première fois des huiles lourdes du goudron de houille par deux chimistes français, MM. Dumas et Laurent ; cependant le corps isolé par eux n’était pas, à en juger par les caractères qu’il offrait, de l’anthracène pur. En 1857, Fritsche découvrit un hydrocarbure auquel il assigna la formule C14h10, et dont le point de fusion était à 212 degrés ; cette fois c’est bien l’anthracène qui a pris naissance dans l’alambic du chimiste. On parvint plus tard à le produire par la réaction de l’eau sur le chlorure de benzyle, et M. Berthelot l’obtint par d’autres procédés de synthèse au cours de ses belles recherches sur les hydrocarbures. Enfin en 1868, deux chimistes de Berlin, MM. Graebe et Liebermann, réussirent à extraire l’anthracène de l’alizarine de la garance. Dès lors il fut permis de penser qu’en renversant opération on pourrait fabriquer l’alizarine au moyen de l’anthracène. On entrevoyait un pont d’or conduisant des humbles résidus des usines à gaz aux marchés où le cultivateur provençal envoie ses caisses de garance. Immédiatement l’attention des chimistes se détourna de la naphtaline sur l’anthracène, qui gagna en considération ce qu’en perdait sa rivale, et devint l’objet d’une demande toujours croissante.

Si on laisse reposer plusieurs semaines les derniers produits de la distillation du goudron de houille, il se forme un dépôt cristallin de carbures solides qui, débarrassé des huiles, se vend comme anthracène brut ; mais c’est un produit très pauvre, un mélange