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dirent franchement leur avis à Dobosch ; mais il ne voulut rien entendre. Il allait sans cesse chez Dzvinka, et lorsque Stéphane y était, il nous emmenait. Les jeunes filles, les femmes du village venaient danser avec nous, les Juifs jouaient du violon, de la basse et des cymbales.

Stéphane cependant s’apercevait de toute sorte de choses qu’il n’avait pas remarquées auparavant. Il entendit sa femme fredonner près du foyer : « Sur les pas de mon bien-aimé fleurit la rose et le sureau ! » Il l’entendit, tandis qu’elle était assise sous les pois grimpans du jardin, charger le soleil, la lune et le vent qui passe par-dessus la montagne de saluer son bien-aimé, et il savait bien que pour le saluer, quant à lui, point n’était besoin de l’intermédiaire de la lune, et que sous ses pieds ne verdissait pas même le chardon ni l’ortie, encore moins la rose. Il secoua la tête et la regarda d’un air mécontent.

— Cette chanson ne te plaît donc pas ? demanda-t-elle.

— Non !

Stéphane prit la physionomie d’un somnambule ; tout le monde l’évitait. Son cœur était tellement bourrelé d’inquiétude qu’une nuit, sa femme ayant crié en rêve, il se pencha pour entendre si elle ne se trahirait pas. Elle reposait sur le dos et sa poitrine se soulevait comme la blanche écume de l’onde ; elle respirait profondément. Enfin elle dit : — Toi, je t’aime ! viens ! — Et lorsque Stéphane se fut penché sur elle, Dzvinka passa ses bras autour de son cou en soupirant : — Mon fier Dobosch ! — et lui donna un baiser pareil à la morsure d’un serpent. Stéphane en savait assez désormais ; il sortit et versa des larmes amères.

La Dzvinka n’était pas médiocrement fière d’avoir amené le terrible Dobosch, que tout le monde redoutait, à lui mettre et à lui ôter les pantoufles rouges, car elle avait maintenant des pantoufles rouges comme une comtesse ; mais, tout en aimant Dobosch, elle avait pitié de son mari. Une fois que Dobosch venait de partir avec ses camarades, elle vit Stéphane serrer les poings et l’entendit crier derrière lui : — Puisses-tu être traîné dans la montagne ; puissent tes membres rester sur les rochers… — C’était un samedi ; elle s’occupait à laver la tête et à peigner les cheveux de Stéphane, immobile comme un saint de bois, comme une souche. Pour le réveiller, elle lui tira les cheveux. Il ne parut pas le sentir. — Ne t’ai-je pas fait mal en t’arrachant les cheveux ?

— Qu’importent les cheveux quand on m’arrache l’âme ?

— Et qui donc t’arrache l’âme ?

— Toi !

— Moi, mon amour ?