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trente ans, Jean-Aymard quarante-huit ans, Aymard-Jean trente-neuf ans, Aymard-Charles-Marie dix-neuf ans : curieux exemple d’une longue hérédité qui n’était pas très rare dans les annales de l’ancienne magistrature. Il y a bien tel de ces présidens sur qui Tallemant des Réaux paraît avoir d’assez étranges souvenirs ; mais Tallemant est, comme on sait, une méchante langue, et l’histoire de ces neuf générations successives offrirait beaucoup de belles actions, soit quand l’aïeul du dernier de ces chefs de l’ancienne chambre, combattant au siège de Valenciennes, refusait de quitter l’assaut et d’aller s’assurer une survivance que Louis XIV venait de lui accorder en apprenant la mort de son frère, soit quand ce dernier président courait au-devant des sacrifices de revenus et de privilèges que demandait l’assemblée nationale, et, après la suppression de la chambre, refusait d’émigrer, puis succombait innocent sur l’échafaud révolutionnaire, ainsi que son fils et son frère. On raconte qu’après la seconde restauration le prince de Condé ne cessait d’appeler le marquis de Barbé-Marbois, placé à la tête de la nouvelle cour des comptes, « mon cher M. de Nicolay, » parce qu’il ne concevait pas qu’un autre qu’un Nicolay pût occuper cette place. Or, dès le milieu du XVIIe siècle, après la destruction d’une première bibliothèque ou archive due aux soins de leurs aïeux immédiats, les premiers présidens en formaient une autre contenant une foule de documens, recueils autographes, traités originaux, transcriptions de registres, actes de tout genre, sources authentiques et jusqu’à présent inconnues où M. de Boislisle a fait un choix des plus heureux. M. de Boislisle a intitulé son livre Chambre des comptes de Paris ; pièces justificatives pour servir à l’histoire des premiers présidens, 1506-1791. C’est un titre qui est trop modeste et pourrait même tromper le lecteur. Nous n’avons pas uniquement ici, loin de là, des informations biographiques ; des 973 pièces qui nous sont offertes, il n’y en a pas une qui ne doive servir à qui voudra reconstituer l’histoire de l’ancienne chambre des comptes pendant ces trois derniers siècles, et un très grand nombre, d’intérêt tout à fait général et qui paraissent pour la première fois, seront désormais indispensables à l’historien. L’introduction que M. de Boislisle a placée en tête de son livre est elle-même une œuvre considérable. Il a montré d’abord, avec une abondante érudition du meilleur aloi, quels documens originaux doit rechercher un annaliste de l’ancienne chambre des comptes, lesquels d’entre ces documens ont existé, puis ont péri, lesquels subsistent en dehors même de ce que le nouvel éditeur publie aujourd’hui. Il s’est appliqué ensuite à restituer jusque dans le détail la constitution de la seconde cour souveraine, le mécanisme de son action, sa procédure,