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effets du récitatif : O terreur ! Je frissonne au seul bruit de mes pas. Cette phrase sublime et d’une si large envergure est dite sans pathétique et surtout sans autorité. Nous venons de prononcer le mot par lequel se résume notre opinion sur la manière dont Mme Patti tient le rôle de Valentine. Elle y manque absolument d’autorité. En dehors des passages où la virtuose seule est en jeu, le duo avec Marcel par exemple, qu’elle développe d’un organe splendide et peut-être encore avec plus de richesse que de style, on la voit s’agiter, se mutiner sans résultat sérieux, son geste fluet, saccadé, ne dépasse point la rampe. Il semble que cette puissante musique et ce grand drame la suffoquent, elle est là dedans comme l’oiseau qui tressaute dans sa cage, bat des ailes et, de guerre lasse, se dédommage de sa captivité par de gentils gazouillemens.

On dira ce qu’on voudra, notre opéra français ne se laisse point aborder ainsi au pied levé, il faut pour supporter pendant cinq actes le poids de ces écrasantes conceptions du génie lyrique une éducation spéciale, une intelligence du théâtre, un acquis dont les trilles les mieux perlés et le plus beau canto spianato ne sauraient tenir lieu ; il faut surtout ce goût de l’idéal, ce sentiment profond du style et de la passion qui distinguent une vraie grande artiste d’une simple virtuose. Les Américains, les Russes, les Anglais, peuvent s’y tromper, confondre Lucie avec dona Anna, Valentine avec Violetta ; nous avons chez nous d’autres idées, et j’avoue qu’il ne me fâche point de voir de temps en temps ces éblouissans météores pâlir un peu au lustre de notre scène. Il résulte de là un enseignement fait pour rehausser à nos yeux le mérite des artistes que nous formons, et que ces quelques représentations de Mme Patti à l’Opéra ne décourageront pas, espérons-le. Sans nommer Cornélie Falcon, qui dès le premier jour, et sous les yeux mêmes du maître, réalisa le type de sa création, nous avons vu passer bien des Valentine, la Cruvelli, d’un si tragique essor dans le duo, — Rosine Stoltz, un tempérament diabolique avec des éclairs de voix fulgurans, — que ceux qui l’ont entendue se rappellent ces cordes basses dans le magnifique adagio à la Mozart du duo du troisième acte, et qu’ils comparent ; toutes valaient mieux que la Patti dans ce rôle de Valentine, qu’elles savaient au moins marquer d’un trait caractéristique et faire vivre de la vie du théâtre. Il est vrai qu’elles coûtaient moins cher : 6,000 francs par représentation, c’est raide, comme dit Olivier de Jalin, que nous allons bientôt retrouver à la Comédie-Française.

L’an dernier, quand le shah de Perse voulait exprimer son admiration à l’endroit d’une jeune personne, il s’écriait pari nt à son père : « Ta fille est splendide, elle vaut 3,000 tomans ! » C’est à croire aujourd’hui que le public ne raisonne pas autrement. Comment donc ne serait-ce point beau lorsque c’est si cher ? et les applaudissemens, les ovations,