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havres de la côte, se réunissant alternativement à bord du Tartare et de la corvette le Gassendi, interrogeant les riverains et les pêcheurs, soit en anglais, soit en français, suivant leur nationalité. Après chaque séance, un procès-verbal était rédigé dans les deux langues, et signé lorsque la commission en avait examiné le contenu et reconnu la traduction conforme. Les travaux de l’enquête furent terminés le 29 août 1859 à bord du Gassendi. L’étude approfondie des textes des traités, l’examen des interprétations diverses dont ils ont été l’objet de la part des légistes anglais, confirmèrent les délégués français dans l’opinion que nos droits étaient bien exclusifs, plus réels et plus étendus qu’on ne l’avait cru jusqu’alors. Aussi furent-ils conduits à penser d’un commun accord que ces droits étaient inattaquables, faciles à maintenir, et qu’il n’était pas besoin, pour les faire respecter, d’entrer dans une voie de concessions qui pouvaient nous les faire perdre. MM. de Montaignac et de Gobineau fixent à 3,000 âmes le chiffre de la population anglaise établie sur notre côte, et constatent qu’il a doublé dans une période de vingt ans. La lenteur de ce développement leur fait émettre l’opinion que, sans la tolérance commandée à nos stations navales, il n’y aurait pas eu d’immigration. En conséquence, le moyen le plus efficace de l’arrêter dans sa croissance est à leurs yeux d’interdire la pêche aux riverains pour les forcer à déguerpir, usant en ceci d’une sévérité graduée, et de multiplier nos établissemens sur notre côte réservée. La commission mixte s’arrêta dans ses conclusions aux propositions suivantes : organisation en commun d’une police locale chargée de régler les différends entre les sujets anglais et français ; liberté complète de vendre et d’acheter l’appât pour les pêcheurs des deux nations, sous la réserve qu’il serait interdit chaque année, sur la côte de Terre-Neuve, de seiner le hareng du 20 octobre au 1er avril suivant. Au mois de mars 1860, les travaux de la commission furent remis à l’étude et considérés comme pouvant servir de bases à un arrangement amical ; mais des difficultés s’élevèrent, un mouvement d’hostilité se produisit à Saint-Jean à la suite d’un commencement d’action des autorités anglaises dans un sens favorable à nos intérêts, et tout en resta là. Si l’enquête de 1859 n’eut d’autre résultat que le maintien du statu quo, les documens qu’elle a laissés sont toujours les plus certains et les plus clairs que l’on possède sur l’état des choses à Terre-Neuve dans un temps où l’on ne désespérait pas encore de pouvoir concilier nos intérêts et ceux d’une population qui semblait les menacer déjà. À dater de cette époque, la situation se complique de jour en jour.

Impropre aux travaux agricoles en raison de l’extrême rigueur du climat, l’île de Terre-Neuve ne se connaissait d’autres ressources que celles qu’elle tirait de la pêche, quand on découvrit, en 1859,