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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/210

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l’aiguillon à Versailles. Bref, le chancelier restait bien, comme il le disait, juge et maître, maître tout-puissant et capricieux de la situation, sans se préoccuper des embarras qu’il ajoutait à tant d’autres embarras.

Non, M. de Bismark n’était pas un allié de la commune, quoiqu’il eût sûrement plus d’un agent dans ce monde équivoque qui remplissait Paris de ses turbulences et de ses excès. Il ne servait pas la commune, mais il s’en servait. Par un calcul dangereux, à un certain moment, il voyait sans peine, peut-être avec un dédain implacable, une crise qui achevait d’épuiser la France, qui enchaînait à une œuvre ingrate le gouvernement de Versailles. C’était pour lui un moyen de dicter jusqu’au bout la paix. Les préliminaires du 26 février, il est vrai, avaient fixé les lignes essentielles, les conditions territoriales, financières de cette paix, et il ne restait plus qu’à donner à ces préliminaires une forme définitive.

C’était l’objet de la négociation qui venait de s’ouvrir en terre neutre, à Bruxelles, entre la France et l’Allemagne, représentées, l’une par M. de Goulard, le baron Baude, M. de Clercq et le général Doutrelaine, l’autre par le comte d’Arnim, le baron de Balan et des ministres de Bavière, de Bade, de Wurtemberg. Entre les préliminaires et ce traité définitif qu’il s’agissait de négocier, cependant, il y avait place pour la discussion, peut-être pour une amélioration. Les points qui restaient à régler étaient aussi nombreux que graves. La question même de territoire pouvait renaître indirectement, partiellement, à propos du rayon militaire de Belfort demeuré indécis. Il y avait à s’occuper de la part de dette de l’Alsace et de la Lorraine, des modes de paiement de l’indemnité, du chemin de fer de l’Est. Sur tous ces points les conditions de l’Allemagne, sans être présentées d’un seul coup, ressemblaient toujours à un ultimatum. Les plénipotentiaires de la France faisaient de leur mieux, opposaient la patience, la raison, le droit, les considérations pratiques ; ils luttaient pendant plusieurs semaines. Nul doute que dans d’autres circonstances un certain succès ne fût possible. Malheureusement les négociations se ressentaient des événemens, et ici survenait tout à coup une péripétie qui se liait à toutes ces questions de la guerre civile française, de la reconstitution de nos forces militaires, du rapatriement de nos prisonniers.

Quelle était réellement la pensée de M. de Bismarck ? Chose curieuse, le chancelier avait d’abord laissé aller les négociations. Bientôt il se montrait pressé d’en finir, il ne voulait pas de retard, et il prodiguait les éclats de son humeur, qui retentissait jusque dans le Reichstag, à Berlin. Il lançait ces paroles : « Je ne puis dire que les négociations de Bruxelles suivent un cours aussi rapide que je l’aurais attendu dans ces circonstances. Je ne puis au contraire