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qui se dispose à prendre une attitude de menace. Un autre jour, c’est la France qui est en négociation avec Saint-Pétersbourg et qui garantit à la Russie la liberté de sa politique en Orient. — De toute façon, n’en doutez pas, ajoutent les correspondans de journaux et les messages télégraphiques, il y a quelque chose. La Russie arme, la Prusse réforme son landsturm. Le cabinet de Versailles prépare un mémorandum qu’il doit adresser aux puissances européennes. La paix est en péril, la guerre est dans l’imbroglio espagnol !

Que tout ne soit pas clair en Europe, qu’il y ait des difficultés, des antagonismes, quelquefois, si l’on veut, des relations laborieuses, c’est une situation qui n’est pas précisément nouvelle, qui tient à des conditions générales dans lesquelles il faut s’accoutumer à vivre, sans qu’il en résulte nécessairement chaque jour de ces complications dont le télégraphe se fait le colporteur suspect. A quel propos le cabinet de Berlin remettrait-il des notes à la France au sujet des affaires espagnoles ? Où sont les faits qui donneraient une ombre de prétexte à une manifestation, trop étrange, trop extraordinaire pour qu’on ait pu en avoir même la pensée ? M. de Bismarck, à défaut de l’esprit de ménagement qui ne lui est pas habituel, a sûrement assez de clairvoyance pour savoir mesurer le degré de concours qu’il peut prêter au gouvernement de Madrid, et pour ne pas se jeter dans une aventure qui compromettrait sa diplomatie aussi bien que le crédit de l’Allemagne aux yeux de l’Europe entière. C’est une fiction et rien de plus. A quelle occasion, d’un autre côté, la France se mettrait-elle à la recherche de combinaisons nouvelles au sujet de l’Orient ? Les politesses qui ont été récemment échangées à Paris entre le grand-duc Constantin et M. le président de la république sont une marque des rapports d’amitié qui existent entre les deux pays. Il est peu probable que le frère de l’empereur Alexandre II et M. le maréchal de Mac-Mahon aient parlé de l’Orient dans leur courte entrevue, et ce n’est pas précisément pour la France le moment de regarder si loin, de se lancer dans les vastes projets, de poursuivre une politique qui ne pourrait que la détourner de tout ce qui l’intéresse le plus, de ses affaires intérieures, de ses préoccupations, de ses travaux. Vus de près, que deviennent tous ces incidens dont on fait si grand bruit, dont on occupe l’Europe à coups de dépêches répandues à profusion ? Ce ne sont peut-être que des inventions propagées dans un intérêt de spéculation, et ceux qui les répètent ne s’aperçoivent pas qu’ils jouent avec les plus délicates questions de dignité pour la France. Aux difficultés inévitables d’une situation compliquée, on ajoute le mal de l’imagination, des interprétations de fantaisie et des excitations intéressées.

Hier encore l’empereur Guillaume, en ouvrant le parlement allemand à Berlin, assurait que l’empire n’entendait consacrer ses forces qu’à sa propre défense, que ces forces mêmes mettaient « son gouvernement