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en mesure d’opposer le silence aux soupçons injustes dont sa politique est l’objet, et de faire face aux conséquences qui pourraient naître de la malveillance ou de la passion des partis. » Si l’Allemagne ne destine les forces dont elle dispose et qu’elle accroît sans cesse qu’à sa propre défense, la paix ne court point sans doute tous ces périls qu’on présente comme des fantômes à l’imagination européenne. L’Allemagne n’est pas près d’être attaquée. S’il y a ces « soupçons injustes » dont parle l’empereur Guillaume, qui donc en est responsable ? L’Allemagne a les embarras de la puissance et de l’orgueil dans la puissance. M. de Bismarck ne peut s’en prendre qu’à ceux qui montrent sa main partout, qui lui prêtent des idées d’intervention, des projets, des impatiences ou des exigences que probablement sa sagacité désavoue, mais que sa diplomatie ne désavoue pas toujours assez haut pour décourager les propagateurs de mauvais bruits. Quant à la France, ce n’est point assurément par elle que la paix est en péril, et ce n’est pas sur elle que peuvent peser des soupçons. Ce qu’il y a de douloureusement simple dans sa situation exclut jusqu’à la pensée d’une initiative agitatrice, et ceux qui s’efforcent de découvrir de son côté des motifs d’inquiétude peuvent chercher ailleurs. Éprouvée par la guerre et par toutes les suites de la guerre, atteinte dans ses ressources par les pertes qu’elle a essuyées aussi bien que par les rançons qu’elle a dû payer, frappée dans ses forces qui, sans être épuisées, ont besoin d’une longue et laborieuse réparation, la France n’a et ne peut avoir, au moment présent, qu’une politique extérieure, la paix, — cette paix dans le recueillement que la Russie érigeait il y a vingt ans en système.

La France ne noue pas de combinaisons, elle ne poursuit pas d’alliances particulières, elle est l’amie de tout le monde, et elle laisse le temps agir pour elle. Tout ce qu’elle peut faire, c’est de demander qu’on ne prenne pas sa modération et sa patience pour une faiblesse résignée à tout supporter, même d’obscures querelles. En un mot, c’est cette paix que M. le ministre des affaires étrangères, dans une réunion récente de la chambre de commerce de Bordeaux, a caractérisée avec une prudente habileté de langage qui dit tout : « la paix sur des bases à la fois compatibles avec notre dignité et avec nos intérêts, » la paix placée « sous une double sauvegarde, l’affirmation du droit de la France et de notre respect religieux pour toutes nos obligations internationales… » Remplir strictement ses obligations, maintenir son droit et sa dignité, dégager l’intérêt national du conflit des partis, suivre simplement son chemin : avec cette politique, qui la lie à l’Europe, qui au besoin ferait de sa cause la cause de toutes les indépendances et de la sécurité générale, la France n’a ni compte à rendre ni mémorandums à redouter, ni « soupçons injustes » à craindre. Elle n’a qu’à laisser passer sans émotion, non sans une certaine vigilance néanmoins, tous ces bruits suspects par lesquels on essaie tantôt de dénaturer son rôle, tan-