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« — Ils grattent les cailloux, repartit le vieux Vandale, mais c’est de notre sang que sortent les héros qui leur gagnent des batailles. Si c’est leur manière d’aimer le travail des esclaves, la nôtre est de commander aux esclaves. Je ne loue pas le héros qui s’engage à servir un esclave…

« — Cependant, dit Ingo, les sages reconnaissent que la puissance des Romains est devenue plus grande qu’autrefois. Ils se vantent qu’au temps de leurs pères il est venu dans leur empire un dieu nouveau qui leur procure la victoire.

« — Je sais depuis longtemps, dit le roi, qu’il y a un grand secret dans leur Christus. Et leur foi n’est point du tout fausse, car ils sont réellement plus souvent victorieux qu’autrefois. On entend dire toute sorte de choses là-dessus, et personne n’en sait le fin mot.

« — Ils ont très peu de dieux, déclara Berthar d’un ton grave, peut-être même n’en ont-ils qu’un, qui a trois noms. Le premier nom, c’est père, le second fils, et le troisième un.

« — Le troisième, c’est Diabolus, s’écria Wolfgang ; je sais cela, moi ; j’ai vécu moi-même en mon temps parmi les chrétiens, et je t’assure, sire roi, que leur charme est le plus puissant de tous. J’ai appris à connaître leur signe secret, et une conjuration qu’ils appellent Pater noster, souveraine contre toutes les maladies. » Et tout en parlant il fit respectueusement un signe de croix sur sa jarre de vin.

Interrompons un instant notre résumé pour relever dans ce curieux dialogue la mauvaise humeur du Germain barbare, surtout du Vandale, contre toute espèce de luxe ne servant qu’à flatter les yeux. Il y avait encore, semble-t-il, quelque chose de ce trait de la race dans les régimens du nord de l’Allemagne lors de la dernière invasion.

Pour en revenir à notre histoire, disons qu’Ingo crut pouvoir solliciter l’appui du roi en faveur de ses amours, que le roi ne se montra très désireux ni du mariage d’Irmgard avec Théodulf, ni de son mariage avec Ingo, mais que, tout compte fait, si Ingo ne lui demandait pas d’argent et s’il ne s’établissait pas sur le territoire d’Answald, il fermerait les yeux à la rigueur sur les entreprises que le jeune homme pourrait tenter pour en venir à ses fins. Le pauvre sire ne savait pas combien il lui eût importé au contraire que son hôte s’unît à la jeune fille qu’il aimait. La reine Gisèle avait senti renaître son ancienne inclination pour Ingo. Elle lui faisait des propositions insidieuses, lui insinuait qu’il serait pour son jeune fils le meilleur des précepteurs et des conseillers, qu’il devait s’établir à la cour de Thuringe, et s’élever au premier rang par son courage et ses exploits. Vers le même temps, le roi Visino avait été bien aise de se servir de la troupe vandale et de son chef contre