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Polonais dans le roman contemporain, et les sympathies de l’auteur sont évidemment pour le noble guerrier, à la condition qu’il soit loyal et généreux, pour le bourgeois industrieux et le paysan libre. Encore voit-on le moment où le noble lui-même devra céder le pas au tiers-état.

Le Nid des Roitelets est un tableau généralement fidèle de la mêlée tumultueuse d’intérêts et de prétentions avides qui s’appelle la féodalité. On serait tenté de reprocher à l’auteur une certaine gaucherie dans l’art de faire mouvoir ses nombreux types dans le cadre où il les renferme. On éprouve quelque peine à se reconnaître au milieu de tous ces noms propres et de tous ces caractères. Ceux-ci ne se soutiennent pas toujours comme l’exigerait la logique morale. Tous ces combats, tous ces coups d’épée, toutes ces scènes de pillage et de violence finissent par devenir monotones. Çà et là surgissent des doutes sur l’exactitude chronologique des détails. Est-il vraisemblable par exemple que, dès le commencement du XIe siècle, des tonnes de hareng salé remontaient le long des fleuves et même des rivières de second ordre jusqu’au cœur même de la Germanie ? L’art de conserver dans le sel ce prolifique poisson était en effet connu à cette époque ; mais ce n’est guère qu’au XIVe siècle qu’il fut assez perfectionné pour devenir une des grandes industries des pêcheurs du nord ; Enfin, tout en comprenant à merveille le conflit qui se déclare entre la tendresse maternelle et le principe ecclésiastique-monacal, il faut avouer que le changement qui survient sous ce rapport dans les idées de la mère d’Immo n’est pas plus expliqué que celui du païen Ingraban se détachant de ses dieux pour se rapprocher du christianisme. La conversion, des deux côtés, est racontée, mais psychologiquement elle n’est pas motivée.

Voici maintenant le mérite très spécial et très réel de ces trois romans, celui que nous tenons à relever en finissant. Tous les trois sont pénétrés d’un vif amour de la patrie allemande. Ni le Romain ni le Slave n’y sont flattés, cela est certain, mais il n’en pouvait être autrement, et il faut rendre cette justice à M. Freytag, que son bon goût l’a détourné de la ridicule manie d’un certain nombre de ses compatriotes, qui les pousse à chercher dans les siècles passés des alimens ou des justifications à leurs implacables rancunes contre la France. S’il avait voulu en chercher les occasions, il les aurait trouvées sans trop de peine. Son mérite, comme son droit, c’est d’élever un monument littéraire en l’honneur de son histoire nationale, et nous aurions mauvaise grâce à l’en blâmer. Que l’Allemagne sache enfin qu’on lui a menti quand on lui a représenté la France comme animée d’une basse jalousie pour ses gloires et ses vertus nationales, et si les derniers événemens ont laissé dans nos cœurs