Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/612

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

âge en théories, en formules, plus nettes et plus fixes que celles qu’il connut jamais lui-même ; nous en sommes arrivés à croire mieux posséder l’art roman ou l’art gothique que les constructeurs des monumens gothiques ou romans. Nous avons sur ces derniers un avantage ; l’art du moyen âge ayant toujours marché de transformation en transformation sans jamais s’arrêter, la postérité, qui le peut embrasser tout entier d’un coup d’œil,, a moins de peine que les contemporains à en comprendre l’ensemble, à en caractériser les différentes phases. Par malheur, cet avantage n’est pas sans contre-partie. Il nous est arrivé en architecture ce qui arrive souvent en histoire naturelle. Nos divisions et nos classifications, nos définitions et nos formules ont été plus marquées, plus exclusives que ne le comportaient les choses elles-mêmes. Le besoin de classer et de généraliser, de faire tout rentrer dans un cadre et dans un système, nous a conduits à nous faire une sorte de type idéal, d’art abstrait et théorique aux règles duquel nous sommes tentés de plier après coup les monumens des siècles passés. Il y a là pour les édifices du moyen âge, pour les édifices gothiques surtout, un danger que nous croyons devoir signaler au monde savant et au public.

Bien des églises de France ont été restaurées depuis un demi-siècle, sous le second empire surtout ; dans ce nombre, il y en a peu qui n’aient subi quelques altérations, quelques corrections plus ou moins graves. Aux yeux de la foule, ces modifications ont souvent été insensibles, souvent même elles ont paru dignes d’éloges ; aux yeux de l’archéologue, aux yeux de l’homme préoccupé de l’histoire et des souvenirs du passé, elles ont toujours été regrettables, parfois elles ont été irréparables. Dans un monument historique, il ne devrait y avoir de toléré que les changemens impérieusement exigés par le but de l’édifice, ou par la solidité de la construction. Nous ne voulons point faire de récrimination sur les monumens dont la restauration est achevée. Nous prendrons pour exemple, à peu de distance de Paris, une église actuellement en restauration, la cathédrale d’Évreux. C’est une de ces nombreuses églises où les différens styles se suivent et s’enchaînent les uns aux autres, comme les générations et les siècles, sans que la variété des parties nuise à l’harmonie de l’ensemble. La nef, dans l’étage inférieur au moins, est romane, le chœur gothique, la façade renaissance. La nef avait deux caractères particuliers : les contre-forts supportaient de doubles arcs-boutans, et l’ogive de la voûte centrale était peu accentuée, d’un gothique encore timide et primitif. Dans la restauration projetée, ou mieux dans la reconstruction commencée, ce double caractère doit disparaître. Nous avons vu un plan gravé représentant côte à côte l’église actuelle et le projet de