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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/613

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restauration. Les différences ou les améliorations sautent aux yeux ; les nouveaux contre-forts n’ont, comme dans la plupart des églises, qu’un seul arc-boutant, et comme dans la plupart des monumens du XIIIe siècle l’ogive de la nef nouvelle est sensiblement plus aiguë. L’intérieur et l’extérieur du vaisseau central, la seule partie de l’édifice encore atteinte par la restauration, sont ainsi également modifiés dans ce qu’ils ont d’essentiel, dans ce qu’ils ont de particulier et de rare.

Les modifications, comme nous venons de le dire, on ne les déguise point, on les affiche dans les projets officiels, et les partisans de la reconstruction en font valoir les avantages. Ces contre-forts à doubles arcs-boutans étaient une forme vicieuse, cette ogive surbaissée de la nef était lourde, et ne convenait point à un monument de cette époque. En simplifiant les arcs-boutans, en surhaussant l’ogive de la voûte, on donne à l’édifice plus de légèreté, plus d’élégance, plus de pureté. Qu’avez-vous à reprocher à une reconstruction qui ne change les parties et les proportions de l’édifice que pour les corriger et les embellir ? Ce que nous avons à dire, c’est qu’avec de telles corrections, avec de tels perfectionnemens, un édifice perd l’une des principales qualités d’une œuvre d’art, l’originalité, et la première qualité d’un monument historique, l’authenticité.

Un monument n’est pas seulement une œuvre d’art destinée à charmer l’œil et le goût, un monument est un document. À ce titre, tous lui doivent le respect, et nul n’a qualité pour y toucher. La falsification des monumens de pierre n’est guère plus excusable que celle des monumens écrits ; la main qui les restaure n’a pas le droit d’en dénaturer le texte. On sait jusqu’où nos éditeurs modernes poussent en pareille matière le scrupule : nous voudrions voir leur exemple suivi des architectes et des réparateurs de nos cathédrales. Que dirait-on d’une réimpression d’un de nos vieux poètes ou de nos vieux historiens, d’un Joinville ou d’un Charles d’Orléans, dont la langue serait modifiée par un lettré ou un philologue contemporain, sous prétexte d’en redresser les fautes et les incorrections, et de leur faire mieux parler le langage de leur temps ? C’est cependant là ce que nous faisons quand nous corrigeons en style du moyen âge les églises du moyen âge. La question n’est pas de savoir si nous faisons mieux, cela se pourrait parfois, car dans les plus beaux édifices, comme dans les plus beaux livres, il est souvent facile d’indiquer une faute ou une incorrection. La question est de respecter ce qui existe, de conserver à l’avenir les monumens du passé en leur intégrité, en leur génie original. Dans les œuvres d’art même, il est une chose que notre époque, toujours critique et