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travaux, nous voudrions voir près de nos cathédrales des hommes qui se contentassent d’être les respectueux et religieux conservateurs des monumens confiés à leurs soins. Ce que nous réclamons avant tout, c’est la réforme de l’administration préposée à l’entretien des plus beaux édifices de la France. Que les cathédrales cessent d’être confondues avec les séminaires ecclésiastiques, qu’elles reprennent en fait comme en titre le rang de monumens historiques auquel elles ont plus de droit qu’aucune autre classe d’édifices. Que pour elles au moins ce titre de monumens historiques cesse d’être une vaine dénomination, qu’il signifie protection, et devienne une assurance contre les démolitions ou les altérations arbitraires. A l’architecte, à l’esprit naturellement novateur et révolutionnaire en architecture, qu’on oppose l’esprit conservateur par excellence de l’archéologue. Il ne serait pas impossible de trouver une combinaison réunissant les deux élémens et offrant d’égales garanties aux droits de la science et de l’histoire, aux besoins de l’art et de la construction. N’y a-t-il plus de commission des monumens historiques, et n’est-il pas possible d’en restaurer ou d’en élargir les attributions ? Il y aurait une mesure meilleure encore.

A tort ou à raison, nous avons en France une représentation officielle de la science et de l’art ; qu’on lui confie la haute surveillance de tous les travaux entrepris dans nos grands monumens historiques. Avec la division en académies et la répartition des académies en sections, l’Institut se prêterait facilement à une telle réforme. L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et l’Académie des Beaux-Arts pourraient fournir les élémens d’une commission mixte, où les deux intérêts en présence, où les deux tendances en lutte trouveraient également des représentant et dont nul ne pourrait contester la compétence ou l’indépendance. Avec une commission ainsi composée, on aurait enfin un tribunal à la hauteur des causes à débattre devant lui ; on aurait une sorte de haute cour archéologique où la science et l’histoire en pourraient toujours appeler. Il ne s’agit pas seulement dans cette question d’un intérêt scientifique, il s’agit d’une œuvre patriotique par excellence. Notre pays s’est vanté de bien des gloires ; entre toutes celles qui nous échappent, il en est une qu’on ne saurait nous disputer : nous possédons les plus nombreuses, les plus belles, les plus vastes églises du moyen âge. Ces cathédrales, les plus insignes monumens de notre génie dans le passé, donnons-leur des gardiens dignes d’elles, et préservons-les d’un danger d’autant plus redoutable qu’aux yeux de la foule il est moins apparent.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.