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aura 1,000 mètres de portée, répondit-il, et le calcul me confirme qu’il résistera indéfiniment. » La mort est malheureusement venue frapper cet homme éminent avant qu’il ait achevé tous ses travaux. Il est certain que nul pont suspendu en Amérique n’a donné lieu aux mêmes accidens qu’en France et que nous avons tort, depuis plus de vingt ans, de rejeter un système de construction très économique, et que souvent rien ne peut avantageusement remplacer. Par un ensemble de câbles de retenue bien combinés, on peut mettre un pont suspendu à l’abri de l’atteinte des plus terribles ouragans, l’exemple des ponts du Niagara le prouve. Le seul danger à craindre, et il est facile à éviter par des règlemens et une surveillance sévères, c’est celui du mouvement cadencé d’un grand nombre d’hommes ou d’animaux passant à la fois. C’est dire que la désastreuse catastrophe du pont d’Angers, qui vint en 1850 attrister la France et noyer des centaines de pauvres soldats dans les eaux de la Loire, eût pu être aisément évitée.

La hauteur du tablier du pont de la rivière de l’Est au-dessus du niveau des eaux étant de 40 mètres, le plus grand clipper pourra passer sous ce pont toutes voiles dehors. La longueur totale du pont, qui partira de la place de l’Hôtel-de-Ville à New-York et entrera bien avant dans Brooklyn, dominant dans un cas comme dans l’autre les maisons aux abords de la rivière, sera de 1,800 mètres, y compris les deux viaducs d’accès. Les habitans de Brooklyn calculent déjà qu’il leur sera plus aisé de prendre le bac lorsqu’ils n’auront qu’à se rendre d’un bord de la rivière à l’autre. Quant à la largeur totale du tablier, elle sera de 26 mètres, ce qui est la largeur d’une rue comme Broadway ; cette dimension permettra de ménager de chaque côté une voie ferrée et une voie charretière, plus une passerelle au milieu, élevée de 3 mètres. Les promeneurs jouiront à leur aise du haut de ce belvédère, deux fois plus élevé qu’une maison à cinq étages, de la plus fraîche brise et du plus magique horizon. Les fondations des piles ont été établies au moyen de l’air comprimé par des procédés aussi hardis qu’ingénieux ; elles s’enfoncent de 25 mètres sous l’eau, dans le sable, jusqu’au terrain solide, qui porte gaillardement et pour l’éternité ces gigantesques et pesantes tours qu’on aperçoit d’une lieue.

En remontant la rivière de l’Est, au-delà de Brooklyn, on salue à gauche, sur l’île de Manhattan, les innombrables rues de New-York qui viennent mourir au bord de la rivière ; à droite, sur l’Ile-Longue, les agglomérations de plus en plus populeuses et pressées de Williamsburg, Greenpoint, Hunter’s-Point, Ravenswood, Astoria, qui ne feront demain qu’une seule et grande ville. Çà et là sont encore d’élégans cottages, qui disparaissent au milieu de la verdure et des