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à cette époque une composition ayant un caractère absolument historique, et quel intérêt s’attache à ces reproductions exactes d’armures et de costumes. Ce panneau emprunte encore un caractère particulier de la citation qu’en a faite G. Vasari. C’est l’un des quatre grands sujets que P. Uccello peignit pour les Bartolini. Il y a des noms qui sont comme des jalons et des dates dans l’histoire des progrès de l’art. Il est heureux que le Louvre puisse inscrire d’une manière significative celui d’un homme qui n’eut pas seulement la gloire modeste de perfectionner la perspective, mais qui le premier avant Masaccio, par une sorte d’entraînement, qui est une des divinations du génie, se prit corps à corps avec la nature, éclairant ainsi d’une lumière nouvelle la voie où son siècle allait, grâce à lui, le dépasser : humble travailleur qui, vivant, ne demandait à son métier que de l’aider à vivre, et dont la mort, en effaçant ses œuvres jour à jour, semble avoir compris la modestie.

Nous regrettons que le savant directeur du musée n’ait pas voulu prendre un parti au milieu des opinions contradictoires que soulève le beau tableau de la Vierge entourée de quatre saints, attribué par les uns avec une certaine vraisemblance à fra Filippo Lippi, par les autres avec plus d’audace au Verocchio. Ce n’est pas assez d’inscrire au bas d’une œuvre de cette valeur cette indication vague : école du quinzième siècle, et M. Reizet, qui a sans doute son avis dans le débat, le devait, ce nous semble, au public. On dit qu’un dessin faisant partie de la collection de M. His de la Salle, dessin dont l’authenticité ne serait pas discutable, reproduit l’étude faite pour un des personnages qui figurent dans cette belle scène. Suivant l’opinion de cet amateur si versé dans la connaissance des procédés usités par les maîtres primitifs, ce dessin serait indubitablement de la main du Verocchio, ce qui donnerait une valeur réelle à la supposition de ceux qui attribuent le tableau au maître du Vinci. Verocchio, orfèvre et sculpteur, n’a laissé que des preuves médiocres et peu nombreuses de son talent comme peintre. On sait la petite légende que Vasari rattache au Baptême du Christ, faible ébauche au milieu de laquelle l’œil aperçoit avec surprise une tête charmante que la main encore novice de Léonard aurait exécutée au désespoir de son maître. Rien dans ce tableau, dont il existe à l’École des Beaux-Arts une copie très fidèle, ne rappelle la science, le sentiment, la beauté enfin que nous admirons dans le tableau qu’on lui attribue ici. L’auteur de la magnifique statue de Colleoni à Venise a-t-il eu par hasard une de ces aspirations angéliques qui semblent peu familières à son talent à la fois réaliste et tourmenté ? Il est difficile de lui refuser, paraît-il, le bénéfice de cette supposition, mais qui pourra lui en assurer l’honneur ?

Si nous terminons rapidement l’examen des tableaux contenus