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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/775

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citoyens qui représentent plus particulièrement l’intelligence, la science, la capacité et le talent ? Est-il possible d’écarter devant de pareils électeurs tant d’hommes appartenant aux professions libérales, tant de lettrés, de savans, de professeurs, de magistrats, d’ingénieurs, d’artistes, d’avocats ? Quand on appelle au scrutin tant de bons et braves campagnards dont l’instruction ne dépasse guère l’école primaire de village (et encore combien ne savent ni lire ni écrire), et dont l’expérience ne s’étend pas au-delà des intérêts et des affaires de leur commune, comment pourrait-on en fermer l’accès à tant de citoyens des grandes et des petites villes, sinon tous lettrés, mais tous ou presque tous assez instruits et ayant l’esprit assez ouvert pour comprendre en une certaine mesure la politique de leur temps et de leur pays ? À ce prétendu suffrage à deux degrés, nous préférons cent fois le suffrage universel direct, aveugle, ignorant en masse, si l’on veut, mais où se mêlent et se confondent avec toutes les classes toutes les lumières et toutes les forces du pays.

L’élection de la seconde chambre par les conseils-généraux seulement offrirait à coup sûr des garanties sérieuses pour les intérêts conservateurs dans la composition même de ces conseils, bien qu’il ne faille pas répondre que, dans un avenir plus ou moins rapproché, ils ne deviennent tout simplement une espèce d’électeurs du second degré pour l’élection des membres du sénat. Et alors l’esprit et la passion politique pourraient bien en faire de purs représentans de la démocratie et du suffrage universel ; mais, même en écartant cette objection, il y aurait toujours à dire que ces conseils, supérieurs en capacité et en expérience aux conseils municipaux, ne représenteraient pas suffisamment cette aristocratie nouvelle dont nous cherchons à réunir les élémens divers dans un corps électoral spécial. La moyenne de capacité y est telle qu’on ne pourrait les considérer comme résumant cette aristocratie tout entière par la variété et la richesse de leurs élémens. Mais la plus grave objection qu’on puisse faire à ce système, c’est l’insuffisance du nombre : 20 ou 30 électeurs nommant un sénateur dans chaque département, est-ce là un corps électoral sérieux ? S’ils étaient choisis par les électeurs du suffrage universel spécialement pour élire des sénateurs, on pourrait ne pas considérer leur petit nombre en tenant compte uniquement de leur valeur représentative ; mais le plus souvent, et c’est heureux, c’est pour leur capacité administrative et pour leur notabilité locale qu’ils sont élus. Le nombre serait donc nécessaire pour donner à l’élu de ces conseils l’autorité dont ils ont besoin pour remplir leur difficile et haute mission. On nous dira que c’est à peu près le système appliqué à la constitution