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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/822

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pays musulmans, y compris Tunis et le Maroc, entrèrent avec ardeur dans la même voie. Aujourd’hui l’extrême Orientale, le Japon en tête, toutes les colonies anglaises depuis le Canada jusqu’aux diverses provinces australiennes, semblent croire qu’une dette publique est une partie essentielle d’une organisation administrative vraiment moderne. M. Dudley-Baxter, passant mélancoliquement en revue tous les pays réputés civilisés, n’en découvrait que trois qui n’eussent pas de dettes nationales, la Servie en Europe, la Bolivie en Amérique et la république de Libéria en Afrique : c’était faire assurément grand honneur au petit état de noirs émancipés que de le comprendre dans cette énumération ; mais, de ces trois exceptions que signalait l’économiste anglais, il y en a déjà une, la Bolivie, qui a disparu.

On voit combien le phénomène des dettes publiques a gagné en généralité : il s’est répandu à peu près sur toute la surface de la terre ; il ne s’est pas moins développé en intensité. D’après les recherches de M. Dudley-Baxter, qui sont, il est vrai, en partie conjecturales pour les périodes un peu éloignées de nous, l’ensemble des dettes nationales des pays civilisés montait en 1715 à 7 milliards 500 millions de francs, chiffre bien minime à nos yeux, qui se sont habitués depuis quelques années à des nombres prodigieux. Déjà la France venait la première sur la liste des nations endettées, puis la Hollande, ensuite l’Angleterre, enfin l’Espagne, les républiques italiennes et les états allemands. Pendant les quatre-vingts années qui suivirent, les dettes nationales augmentèrent, mais lentement, sans brusques soubresauts : celle de la France se réduisait par un procédé arbitraire et violent, la banqueroute des deux tiers sous la révolution. En 1793, l’ensemble des dettes publiques des contrées de notre groupe de civilisation, y compris les États-Unis et l’Inde anglaise, s’élevait à 12 milliards 1/2 de francs, l’Angleterre devant à elle seule plus de la moitié de cette somme. On sait combien les écrivains anglais du XVIIIe siècle étaient effrayés du développement de la dette britannique. « Il faut qu’une nation tue le crédit public ou que le crédit public tue la nation, » disait David, Hume. Il se trompait : il n’avait pas prévu les merveilleuses inventions mécaniques qui devaient, à la fin du dernier siècle, donner à la prospérité publique une impulsion jusqu’alors inconnue. De 1793 à 1820, les dettes nationales s’accrurent infiniment plus que dans les quatre-vingts années précédentes : l’ensemble, à la dernière de ces dates, en peut être évalué à 38 milliards de francs, dont 23 milliards pour la seule Angleterre. Il semblerait que la longue période de paix qui s’écoula de 1815 à 1848 eût dû alléger le poids des engagemens des états ; il en fut tout autrement : lorsque éclata la