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secrétaire de la Jamaïque, sinécure richement rétribuée, où il fut toujours représenté par un délégué. Ce brillant début ne lui a laissé, le croirait-on ? que des regrets. Parlant plus tard avec de justes éloges de lord Bathurst, il ne peut se défendre de reprocher à ce premier et puissant protecteur de ne l’avoir pas suffisamment initié aux affaires publiques, et de l’avoir, lui, jeune homme, abandonné à cette vie de dissipation vers laquelle il ne se sentait que trop facilement entraîné.

Tout mondain qu’est ce gentilhomme accompli, il porte en son for intérieur une inquiétude secrète dont l’amertume se mêle à ses sentimens, à ses actions, à ses succès même, et le rend injuste envers le sort, qui l’a si bien traité. Il n’appartient qu’aux natures élevées de reconnaître leur déchéance et d’en souffrir, et c’est ce qui arrive à Greville alors que, dans la fréquentation habituelle des hommes éminens qui sont l’honneur de l’Angleterre, il s’exagère le sentiment de son infériorité. Ces tristes retours sur le gaspillage de ses belles années ne prennent naturellement leur place que bien plus tard dans son journal. Lorsqu’il le commence, en 1818, la vie se présente à lui sous de moins sombres couleurs ; à peine âgé de vingt-cinq ans, il avait été nommé membre du conseil privé, fonctions qu’il exerça pendant plus de quarante ans, jusqu’à sa mort en 1865. La portion de ses notes livrée aujourd’hui à la publicité comprend les règnes de George IV et de Guillaume IV. Appelé dans les conseils de ces deux souverains, Greville s’est trouvé à même d’étudier de près les mœurs d’une cour dont il nous fait un tableau des moins flattés.

Accueilli dans l’intimité du duc d’York, second fils de George III, Ch. Greville nous donne sur ce prince, dont on a si peu parlé, quelques détails qui ne laissent pas que d’intéresser à la destinée assez mélancolique de ce fils de roi qui pouvait être appelé au trône et termina de bonne heure son existence parfaitement obscure. Il vivait à Oatlands, près de Weybridge, dans une sorte de retraite où l’avaient relégué l’indifférence de son frère George IV et la défaveur du duc de Wellington. Là, quelques amis l’entouraient, et il prenait, au dire de Greville, trop de plaisir à la liberté de leur langage et de leurs manières. Greville a conservé de la reconnaissance pour ce prince, qui le traitait avec bienveillance, et dont il se sentait rapproché par une conformité de goûts. Le duc d’York aimait les chevaux, et lui avait donné la direction de son écurie de courses. Ce genre d’occupations et d’émotions si franchement anglaises, auxquelles Greville n’a jamais cessé de se livrer jusqu’à la satiété, lui a toutefois inspiré les réflexions suivantes : « la nature dégradante de ces plaisirs, écrit-il quelque part, nous donne conscience de l’abaissement de notre intelligence ; c’est comme l’abrutissement de