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II

Les Mexicains, les Chinois, les Assyriens, se sont arrêtés à divers étages du phonétisme ; ils ne se sont point élevés au-dessus de l’idée d’une image de la syllabe. Les Égyptiens étaient arrivés au même point, et cela dès la plus haute antiquité ; mais bien anciennement aussi ils avaient fait un pas en avant et conçu la notion de lettres représentant non-seulement la voyelle, mais encore la consonne, abstraction faite du son vocal qui permet d’articuler celle-ci plus clairement, et lui sert, comme disent les grammairiens, de motion. La nature même de la langue égyptienne put conduire ceux qui la parlaient à cette dissection de la syllabe. L’idiome répandu sur les bords du Nil, et dont le copte est la dernière transformation, avait cela de commun avec les langues sémitiques, que les voyelles n’y offraient pas la plénitude et la sonorité qu’elles ont dans nos langues européennes ; elles affectaient un son sourd qui se prêtait plus facilement à des changemens dans leur prononciation, variable suivant le rôle grammatical du mot, le nombre, le temps, etc. ; bref, elles étaient ce qu’on appelle vagues. Une telle prononciation dut, dans la lecture des signes syllabiques, atténuer l’importance de la voyelle et faire insister davantage sur l’articulation de la consonne. C’est donc celle-ci que tendit de plus en plus à exprimer le caractère phonétique, qui peignait d’abord la syllabe, et à la fin, pour beaucoup de caractères, le signe ne répondit plus en réalité qu’à la consonne, tandis que, dans les caractères représentant une syllabe formée uniquement d’une voyelle ou d’une diphthongue, on arrivait à avoir des signes représentatifs de voyelles. Ces deux genres d’images du son fournissaient tous les élémens de l’alphabet ; de véritables lettres s’étaient dégagées par voie de réduction, d’élimination, de ce vaste appareil idéographique qu’on nomme les hiéroglyphes égyptiens. Les signes avaient passé de l’état de figures à l’état d’idéogrammes, de celui d’idéogrammes à celui de syllabes ; ils en étaient venus à exprimer l’articulation initiale de la syllabe, soit voyelle, soit consonne. Alors se produisit le phénomène dont j’ai parlé à propos de l’écriture japonaise : plusieurs signes répondirent à la même lettre parce qu’ils procédaient de mots commençant par la même articulation.

L’écriture égyptienne se peupla donc d’une foule de caractères homophones dont l’emploi voilait, pour ainsi parler, l’alphabétisme ; mais le principe de celui-ci n’en avait pas moins été découvert. Il fut appliqué sur les bords du Nil dès la plus haute antiquité concurremment avec le procédé idéographique. Les Phéniciens séparèrent les deux méthodes, rejetant l’une et adoptant l’autre. Les anciens