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s’accuser davantage à la période subséquente. Aussi c’est moins la date que la physionomie du personnage même que décèle la configuration des lettres. Le caractère de celui qui écrit s’empreint tellement sur l’écriture que certaines gens prétendent alors reconnaître le tempérament de l’homme à sa main, et leur prétention ne sera pas toujours chimérique ; dans bien des écritures, on discerne quelque chose qui répond au caractère du personnage. Jetez par exemple les yeux sur le registre des procès-verbaux de l’assemblée nationale, où sont couchés les noms de ceux qui souscrivirent dans la séance du 20 juin 1789 au fameux serment du jeu de paume ; rapprochez ces signatures du caractère de ceux qui les ont tracées. Que de curieuses conformités confirmées pour des autographes plus étendus, d’autres pièces émanées de personnages non moins connus dans notre histoire contemporaine ! Robespierre n’apparaît-il pas là tel que la révolution l’a montré, dans cette écriture petite, sèche et sans liaisons ? Son nom est inscrit dans le procès-verbal de la séance du 20 juin, tout près de celui de Boissy-d’Anglas, dont l’écriture grande et franche contraste avec la sienne. Non loin de là est la signature lourdement prétentieuse du fondateur de la secte des théophilanthropes, l’un des directeurs de la république française, L.-M. De la Révelliere de Lépeaux, comme il l’écrit. Le caractère résolu et tenace de Lanjuinais se lit bien dans ces lettres écrasées tracées d’une main pesante. Aussi hardie, l’écriture de Rabaut-Saint-Étienne est moins ferme. Celle de Talleyrand est tortueuse, et l’écriture de Mirabeau rappelle la grande écriture des gentilshommes du XVIIe siècle. C’est une sorte d’onciale, mais plus serrée, où la fierté se mêle à l’impatience. La signature de Barnave trahit l’émotion, celle de Merlin de Douai l’obstination. Comparez l’écriture de Fouquier-Tinville à celle de l’exécuteur Sanson, quelle analogie dans la brutalité du tracé ! Enfin pour mentionner les victimes après les bourreaux, n’est-on pas frappé de la noble fermeté que présente l’écriture de Marie-Antoinette écrivant à Mme Elisabeth après sa condamnation à mort ? La main n’a pas tremblé, les caractères sont demeurés pour l’aspect ce qu’ils étaient quand la femme était reine ; on n’y aperçoit ni affectation ni colère. Cette écriture-là est tout à fait de la même famille que celle de Charlotte Corday allant comparaître devant ses juges ; elle se rattache, bien que de plus loin, à celle de Mme Roland.

En fait d’écriture, on ne vise plus à la calligraphie, on se contente de copies nettes et lisibles. Le métier de scribe, qui était un art quand il fallait faire transcrire autant de fois un livre qu’on en voulait posséder d’exemplaires, et quand c’était la mode d’ajouter aux lettres initiales de gracieux ou bizarres ornemens pour en rehausser la forme, n’est plus à cette heure qu’un misérable métier. Plus