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carrée, stationnent le matin devant certaines portes. Ce sont les petits fabricans en quête de commandes pour l’exportation ; ils vont offrir leur marchandise à un commissionnaire, fort gros personnage, qui les attend tranquillement chez lui. Celui-ci court les risques, expédie à l’étranger, dispose des ordres. Il se rapproche du general-merchant, qui mène les grandes affaires de l’autre côté de la Manche, et il paraît à l’étroit dans son rôle de commissionnaire, car le code, ne prévoyant pas qu’un jour les rôles seraient renversés, fait peser sur lui de lourdes responsabilités à l’égard de ces petits industriels qu’il connaît à peine de vue. Il a bien d’autres fournisseurs : Anglais, Suisses, Belges, Allemands, lui envoient des échantillons de tous les produits analogues à ceux qu’il exporte, et Paris devient ainsi l’intermédiaire recherché, le patron de l’exportation étrangère pour tous les articles de goût. Qui pourrait embrasser l’ensemble de ce commerce ne verrait d’abord qu’un amas incohérent des objets les plus divers, depuis le bronze d’art jusqu’aux jouets d’enfans, des meubles de cuisine avec des fleurs artificielles ; ici un carrosse, là une pièce de toile toute simple, puis un mélange prodigieux de grave et de grotesque, un instrument de précision auprès des babioles les plus extravagantes. On a trouvé une catégorie commode où loger tous les objets dont la destination paraissait problématique : c’est l’article-Paris. Pour le reste, on s’imagine facilement qu’on a sous les yeux des produits de la France entière, et l’on a raison ; seulement Paris appelle à lui, dans chaque branche d’industrie, les fabrications les plus fines, les superfluités, les accessoires du luxe, de la science et des arts, en un mot tout l’appareil d’une civilisation avancée, et, comme s’il avait une vertu spéciale pour mûrir ces fruits-là, les caisses qui partent à l’étranger frappées de son estampille ont doublé de valeur.


II

Voilà un aperçu rapide de nos ressources ; peut-on les caractériser ? L’opinion la plus répandue, c’est que la France n’est réellement supérieure qu’en fait d’art, de science et de goût. L’Anglais, dit-on, fabrique pour l’homme qui entre dans la civilisation, le Français pour celui qui commence à la comprendre. Donc nous n’aurons jamais assez de souplesse pour nous plier aux mœurs des vieux peuples de l’Orient, ni assez de clairvoyance pour discerner les appétits des sociétés primitives. On en conclut que notre marché est nécessairement restreint.

Cependant, si notre influence croît en raison directe de la civilisation européenne, comme celle-ci gagne tous les jours du terrain, notre horizon s’étend aussi de jour en jour. D’autre part, nos