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mais son orgueil en revanche fut flatté. — Je n’aurais jamais voulu d’un ignorant, dit-elle ; tout est donc pour le mieux.

Tandis que l’on procédait aux préparatifs de la noce, un hôte survint qui n’était pas invité : le choléra, parti des déserts de l’Asie, traversa les steppes russes et s’appesantit sur Israël, qui fut saisi de tristesse : les hommes tombaient dans la rue comme les mouches d’été, les porteurs qui emmenaient les morts au cimetière étaient sans cesse requis. Dans leur angoisse, les anciens et les principaux de la commune, Rosenstock parmi eux, vinrent demander le conseil, le secours de Jehuda. — Je sais un remède, répondit aussitôt ce dernier ; pour conjurer la peste, il était d’usage autrefois que la commune célébrât au cimetière l’union d’un couple pauvre.

— Tu l’as dit ! s’écria un orfèvre qui avait aussi la réputation d’être versé dans le Talmud, c’était l’usage, mon père me l’a souvent raconté, tcoutons ce sage et marions un pauvre couple.

L’idée vint immédiatement au riche Rosenstock de secourir à peu de frais par ce moyen la famille de son gendre.

— Qui donc appellerez-vous la plus pauvre de la commune, si ce n’est la petite Chaike Konaw ?

— N’est-elle pas trop jeune ? demanda quelqu’un.

— Non pas, répliqua le père Konaw, elle est petite et faible, mais elle a de la tête, beaucoup de tête, et c’est une brave enfant ; que Dieu la récompense !

— Reste à trouver le fiancé.

— Il n’y a que Baruch Korefïle Rebhuhn qui puisse convenir. Le père se récria. — Un homme frivole !

— Parce qu’il erre toujours d’un endroit à un autre ? C’est son métier.

— Et dont les bandes de prière ne sont pas selon la règle…

— Bah ! fit observer Rosenstock, il n’est pas donné à tout le monde d’être un chassidéen, nous le doterons comme compensation, et il aura en toi un bon modèle à suivre.

On convint donc de célébrer le même jour les deux mariages, celui de Baruch et de Chaike au cimetière pour chasser l’épidémie, celui de Pennina et de Jehuda dans la synagogue.

Le jour venu, tout le quartier juif fut en émoi. De grand matin, Jehuda et Baruch procédèrent aux prières et à la vido (confession) d’usage. Vers onze heures du soir, les amies des deux jeunes filles arrivèrent de leur côté pour les parer ; ensuite eut lieu la cérémonie de la séparation ; tandis que Chaike pleurait amèrement, Pennina, majestueuse, se conduisait comme une souveraine qui congédie ses dames d’honneur ; elle remit en souriant à la plus jeune la couronne de myrte qui couvrait sa tête, demanda pardon à ses parens avec