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l’observation des règlemens administratifs en ce qui concerne le personnel, le matériel et les approvisionnemens ; mais le rôle de la marine militaire en Islande ne se renferme pas strictement dans les limites étroites de ce programme. Ce n’est pas seulement une mission de surveillance, c’est aussi une mission de protection qu’elle vient exercer. Si le navire pêcheur n’a pas de vivres en quantité suffisante, le navire de guerre le ravitaille ; s’il a éprouvé des avaries, le navire de guerre les répare ; le navire de guerre soigne ses malades et s’efforce en toute circonstance de suppléer par ses propres moyens, en faveur de la flottille de pêche, à l’insuffisance des ressources du pays. Quelques services qu’il soit appelé à rendre, il peut être assuré d’avance de l’ingratitude de ses obligés, toujours aussi indifférens aux bons procédés dont ils sont l’objet qu’irrités de la surveillance nécessaire qu’on exerce à bon droit sur eux. La station navale, commandée par un capitaine de vaisseau, se compose d’une corvette à vapeur et d’un brick à voiles. Ces bâtimens appareillent de Cherbourg vers le 15 avril et se dirigent chacun de son côté vers l’Islande. Le brick passe habituellement par l’ouest des îles britanniques ; le bâtiment à vapeur remonte la Mer du Nord, touche à Édimbourg, aux Shetland et aux Féroe, d’où il fait route sur Reikiavik.

Le premier aspect de cette humble capitale ne m’a pas fait éprouver le sentiment de tristesse auquel je m’étais préparé sur la foi des récits de certains voyageurs. La ville est construite sur une presqu’île basse qui forme l’une des extrémités d’une rade circulaire, mal garantie des vents du large par des îlots dont quelques-uns sont, à mer basse, accessibles à pied sec. En arrière des collines de lave auxquelles elle s’adosse s’élèvent de hautes montagnes bleuâtres, dont les neiges recouvrent pendant presque toute l’année les plateaux supérieurs. Au moment de mon arrivée, le dégel avait commencé ; la neige ne subsistait sur les pentes que dans les ravines et les crevasses, qui ressortaient ainsi sur le fond sombre du terrain comme d’immenses ruisseaux d’argent. Dans les prairies qui entourent la ville, l’herbe poussait déjà avec assez de vigueur pour percer la couche de neige à demi fondue par les rayons d’un beau soleil et par la douceur d’une température de 13 degrés. Au lieu d’une impression de tristesse, c’était au contraire un sentiment de quiétude et de paix que j’éprouvais en contemplant ce paysage, où l’œil ne rencontre pas un arbre, pas un buisson, et dont la variété des lignes, la couleur et la lumière constituent seules la sévère et pittoresque beauté.

La population de Reikiavik, qui atteint à peine le chiffre de 3,000 habitans, se décompose en deux élémens bien distincts,