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très variables. Elle n’est pas d’un abord facile en certains endroits à cause des îlots et des récifs qui s’étendent au large ; mais ce sont surtout les brumes qui la rendent particulièrement dangereuse. Lorsqu’un navire se trouve pris au milieu de ces épais brouillards, il n’a qu’une chose à faire : attendre patiemment une éclaircie ; mais, s’il lui est loisible d’arrêter la marche que lui impriment ses voiles ou sa machine, il n’est pas maître de se soustraire à l’action des courans, dont il ne peut apprécier ni la force ni la direction. Aussi se croit-il souvent très éloigné de la côte alors qu’elle lui apparaît brusquement et à petite distance. Pour notre compte, nous attendîmes vainement pendant cinq longues journées qu’un souffle de vent vînt déchirer le voile de brouillards qui nous enveloppait. De guerre lasse, nous fîmes route à petite vitesse jusqu’à ce que la sonde accusât une diminution considérable du fond. Nous mouillâmes alors, prêts à relever immédiatement notre ancre, et quelques heures après, dans une courte éclaircie, nous aperçûmes la terre à 200 mètres. Le pied des montagnes restant dégagé, nous pûmes longer la côte d’assez près pour ne pas la perdre de vue et donnâmes dans le premier fiord qui se rencontra sur notre chemin.

Les courans nous avaient fortement entraînés dans le sud. Longeant, sans la voir, une bonne partie de la côte est, nous étions redescendus jusqu’à Seidis-Fiord, qui est peu fréquenté par nos pêcheurs à cause de sa profondeur et des nombreuses sinuosités qu’on est obligé de décrire avant d’atteindre le mouillage. Les Norvégiens y ont établi une pêcherie où l’on prépare les harengs que l’on prend aux environs en quantité très considérable. Une compagnie américaine y avait également installé un grand établissement pour l’exploitation de la pêche de la baleine. Des navires allaient les harponner au large et les ramenaient ensuite à l’établissement de Seidis-Fiord. L’idée, bonne en principe, a donné si peu de résultats dans l’application, que le matériel de l’exploitation a dû être vendu à vil prix et l’établissement abandonné depuis quelques années. Nous vîmes encore sur la plage les ossemens d’une baleine de très grande taille, qu’un musée d’Amsterdam avait achetés et dont il ne prit pas livraison, faute d’une salle assez spacieuse pour loger ce gigantesque squelette.

La bruine s’était dissipée. En sortant de Seidis-Fiord pour continuer notre tournée, nous pûmes apercevoir dans leur ensemble les montagnes, dont la partie inférieure était seule demeurée visible depuis plusieurs jours. Elles diffèrent sensiblement de celles de la côte ouest. Les cimes, au lieu de se terminer en longs plateaux uniformes, dessinaient sur le fond bleu du ciel des lignes pittoresquement découpées. Les terrains, de nature diverse, affectaient des colorations singulières, jaunes, rouges, vertes, cuivrées, qui du