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lui, que la perspective de son départ les plongea dans un véritable chagrin. Sur leurs prières instantes, le commandant consentit à leur laisser encore la nuit pour se faire à l’idée d’une séparation qui leur coûtait si fort. Le lendemain, au point du jour, un canot se rendit à terre. Le naufragé venait d’arriver sur la plage, escorté par toute la famille qui l’avait si charitablement recueilli. Auprès de lui se tenait une belle jeune fille, aux soins de laquelle il semblait être particulièrement habitué, et qui laissait librement éclater une douleur si vraie que nous en fûmes tous profondément émus. Après avoir remercié le chef de la famille, non-seulement pour les soins qu’il avait eus du survivant, mais encore pour la sépulture qu’il avait pieusement fait donner aux victimes du sinistre, le commandant l’assura que le gouvernement français le ferait indemniser par les armateurs des frais de séjour et de maladie du naufragé, sans préjudice de la récompense honorifique qui serait demandée au ministre de la marine[1]. Tout ému de nos témoignages de sympathie, l’Islandais serrait nos mains en répétant qu’il n’avait fait que son devoir, et qu’il ne méritait pour cela ni indemnité, ni remercîment, ni récompense. Le moment de la séparation était venu : tous les habitans du boer, jusqu’aux petits enfans, fondaient en larmes en embrassant une fois encore le marin qui leur devait la vie. Dès le retour du canot qui le ramenait à bord, nous nous hâtâmes d’appareiller, et, lorsqu’une fois sortis de la baie nous jetâmes un dernier regard sur le rivage, nous aperçûmes encore la famille islandaise suivant de l’œil le navire qui s’éloignait de toute la vitesse de sa machine de ces parages dangereux.

La côte sud, que nous longeâmes ensuite à grande distance, n’offre ni rade, ni mouillage d’aucune sorte. Les sables entraînés par les cours d’eau qui descendent de l’intérieur ont depuis longtemps comblé tous les fiords, et les bancs qui s’étendent à trois ou quatre lieues au large obligent les navires à s’éloigner le plus possible de ces rivages inhospitaliers. A l’horizon s’élèvent de longues chaînes de montagnes étroitement resserrées, parmi lesquelles, si le temps est clair, on peut apercevoir l’Hécla et les glaciers qui le surmontent. Lorsqu’on a dépassé le cap Portland, massif rocheux qui divise la côte sud en deux parties à peu près égales, et dans lequel les lames ont creusé un magnifique portique de 80 mètres de hauteur, on ne tarde pas à apercevoir du côté du large, à quelques milles dans le sud de la terre d’Islande, un groupe de rochers qui s’élèvent brusquement au-dessus de la mer. Ce sont les îles West m an, l’un des sommets de la chaîne sous-marine dont les

  1. Les Islandais d’Hornwig ont reçu, par les soins du ministre de la marine, deux médailles d’or.