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est forcée de lâcher sa proie ; telle autre, vigoureusement assaillie, laisse tomber le cocon qu’elle porte et d’un coup de pointe perce la tête de l’individu qui cherche à le prendre. Longtemps les fourmis barbe-rousse harcèlent les amazones, mais celles-ci, plus agiles, gagnent de vitesse et rentrent au nid avec un butin considérable.

Il semble que rien ne peut décourager les intrépides amazones. Un jour, par un temps affreux, une colonne se trouvait en marche. Passant près d’une fontaine, les malheureuses bêtes sont inondées ; la plupart se cramponnent aux herbes et avancent péniblement au milieu du gazon mouillé. Parvenues au bord d’une grande route, elles n’hésitent pas à la traverser malgré le vent qui les culbute et la poussière qui les couvre ; plus loin elles réussissent à piller une fourmilière ! Au retour, étant chargées, elles trébuchent à chaque pas sous la force de l’ouragan ou sont entraînées à grande distance ; pourtant on ne les voit nullement lâcher prise. Luttant avec une indomptable énergie, elles finissent par atteindre leur demeure sans avoir perdu les fruits du pillage. Il y eut certes des victimes de la tempête, mais on ne les a point comptées. Les terribles amazones étant dans la dépendance absolue de leurs esclaves même pour se nourrir, on s’est inquiété de savoir de quelle manière se fonde une colonie. Selon toute apparence, la femelle, qui a des mandibules à peu près conformées comme celles de Beaucoup d’autres fourmis, élève les larves provenant de sa première ponte ; à cet égard nous manquons d’observations précises.

Une bête d’allure singulière, c’est la fourmi erratique, ou mieux la tapinome[1], elle marche, elle court les antennes en avant, l’abdomen relevé dans une attitude menaçante ; elle éjacule un liquide extrêmement volatil d’une odeur très prononcée. Rencontre-t-elle un animal capable de l’inquiéter, tournant de son côté l’extrémité postérieure du corps, elle le suffoque ou le met en fuite. Les tapinomes qui creusent des souterrains changent fort souvent de demeures ; elles déménagent avec une incroyable rapidité, emportant larves et nymphes. On les observe au nid, que l’on revienne deux heures plus tard le nid se trouve vide ; le déménagement est effectué. La raison d’une semblable conduite reste inexpliquée. Les fourmis erratiques ne sont pas d’humeur belliqueuse ; attaquées, elles se défendent néanmoins d’une façon très résolue et bien étrange. Une fourmi ordinaire menace de ses mandibules la tapinome ; celle-ci se retourne, agite l’abdomen dans tous les sens et fait jaillir une petite vapeur, l’adversaire se sauve. Serrée de près par plusieurs ennemis, la tapinome les asperge de liquide en visant

  1. Tapinoma erraticum. Cette fourmi à raison de certains caractères est classée dans un genre particulier.