Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/832

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un Marenzio, espèces d’incunables grossiers succédant à des enluminures séraphiques ! N’importe, ce style sec et monotone, ces récitatifs pitoyables n’en devaient pas moins faire la joie d’une période et la ravir à ce point d’enthousiasme que toute autre musique fut rejetée dans l’oubli. Lorsqu’à Rome, en 1640, Lelio Guidiccioni osa timidement intercéder en faveur du passé, et parler de quelque décadence actuelle, un dialecticien de haut vol, Pietro della Valle, vous le remit sur-le-champ à la raison, et dans un discorso ou traité en belle forme convainquit d’erreur le bon Lelio. Les temps sont nés pour les chanteurs, les cantatrices et les virtuoses. Cet écrit dont je parle et bien d’autres du moment nous édifient sur le genre de culte dont tout ce monde devient l’objet. Qu’est-ce en effet que la renaissance, sinon la complète émancipation de l’individu dans toutes les provinces de l’activité humaine ? Nous abordons l’ère fortunée des préfaces, aucune de ces conceptions du nouveau style ne s’avance sans être précédée d’une immense introduction historico-théorique. Ni les Péri, ni les Gagliano, ni les Caccini, ni les Agazzari et les Antonio Brunetti n’étaient gens à garder à part eux les motifs de leur réforme ; à les entendre, Palestrina n’a déjà plus qu’une valeur historique, juste ce qu’à deux siècles environ de distance d’autres réformateurs nous répéteront au sujet de Mozart : il se peut que cette musique-là ait son mérite, mais elle ne se chante plus et nous la reléguerons, s’il vous plaît, au cabinet des antiquailles.

Plutarque appelle ces sortes d’évolutions des catastases ; quand l’une a fini, l’autre commence. Une catastase du genre de celle-dont nous sommes aujourd’hui témoins avait donc lieu en Italie dès 1600. C’est aussi pour la prédominance de la poésie que la bataille fut livrée et gagnée ; mais la musique fit bientôt voir qu’elle n’était pas pour accepter un rôle subalterne et porter ainsi la traîne de sa bonne sœur en Apollon. Redevenue captive, elle ne songea plus qu’à sa délivrance, et se reprit à poursuivre ses propres voies ; insensiblement la mélodie vocale s’épanouit, l’air développe ses divers membres, les ornemens, les floraisons éclatent, et du stile rappreseniativo, désert stérile, jaillit l’enchantement d’une oasis. Carissimi excelle aux grâces féminines, son Artémise est adorable, sa Médée, son Hélène, sont irrésistibles, et Stradella, quel doux coloris il sait donner à ses figures) et cette brillante école napolitaine avec son Scarlatti, son Traetta, son Feo, son Pergolèse, elle a si bien concouru à restaurer la royauté de la musique, à la rétablir seule et sans partage sur son trône, que la poésie bannie, expulsée, s’enfuit au dehors recruter des troupes. Gluck paraît : deuxième catastase. Comme les Florentins ses ancêtres, Gluck entre en campagne à grand renfort de manifestes. Nous connaissons la préface