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majorité de la chambre. En récompense, on l’élut shérif, puis, deux ans après, lord-maire, en dépit de l’animosité que la cour lui témoignait toujours. À cette époque, la corporation de la Cité était une des plus hautes institutions politiques du royaume ; être lord-maire, c’était presque autant que d’être premier ministre. Il y avait dix ans que Wilkes luttait contre le pouvoir royal. Il avait failli être tué en duel, il avait passé de longs mois en prison, il avait été expulsé plusieurs fois du parlement. Malgré tous ces incidens, malgré le mauvais renom que lui avait valu sa vie privée, il atteignait la plus haute position qu’il pût ambitionner. Ce qu’il y a de plus extraordinaire en son histoire, disait avec raison Robert Walpole, c’est la durée de son influence. Masaniello à Naples, Rienzi à Rome, Sacheverell à Londres, ont eu chacun leur jour de popularité, puis ils sont morts, et l’on n’a plus entendu parler d’eux. La popularité prodigieuse de Wilkes a vécu dix ans et ne s’est éteinte que lorsqu’il eut triomphé. Au reste, tous les succès lui vinrent en même temps, d’autant plus que ses adversaires renonçaient à la lutte. Aux élections générales de cette même année (1774), les électeurs du Middlesex lui rendirent le mandat de député, dont il avait été privé par un vote quelque temps auparavant. Personne ne songea plus à lui opposer l’arrêt d’expulsion rendu jadis contre lui.

Jusqu’alors cet heureux pamphlétaire n’avait été, pour ainsi dire, qu’un être impersonnel en qui s’était incarnée pour la multitude l’horreur du pouvoir absolu. Aux yeux du public, il n’avait pas plus triomphé par ses qualités propres que démérité par ses vices. A vrai dire, on ne savait que fort peu de quoi il était capable ; à part les quelques libelles qui avaient commencé sa réputation, il n’avait guère donné la mesure de ce qu’il pouvait faire. Les plus malins n’avaient qu’une médiocre confiance en lui. Robert Walpole disait à l’époque de la première élection du Middlesex : « A mon avis, la chambre des communes est l’endroit où il peut faire le moins de mal, car c’est un pauvre orateur ; il y sera bientôt dédaigné. » comme tant d’autres personnages de tous les temps, Wilkes avait à faire ses preuves de capacité non pas avant d’obtenir un premier succès, mais après être arrivé au faîte des honneurs. Comment il s’en acquitta, c’est ce qu’il reste à dire. La fin modeste de cet ancien agitateur n’est pas un des traits les moins curieux de sa vie.

La grande affaire de l’époque était la querelle entre la métropole et les colonies de l’Amérique du Nord. Walpole, si puissant qu’il fût, n’avait osé taxer les possessions lointaines de la Grande-Bretagne, même lorsque le trésor était dans la pénurie. A ceux qui le lui proposaient, il répondait avec son bon sens ordinaire qu’il laisserait cette innovation à des ministres plus hardis que lui. Grenville,