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Depuis que le Globe avait été fondé, un grand changement s’était fait dans les mœurs publiques. Les opinions libérales, alors frappées d’impuissance, s’étaient relevées et menaçaient de devenir prépondérantes. Une loi de la presse présentée par M. de Peyronnet était tombée devant la réprobation générale, et le jour des élections approchait. Pour suppléer au silence de la presse soumise à la censure, une société libre, la société aide-toi et le ciel t’aidera, s’était formée par les soins de plusieurs rédacteurs du Globe. M. de Rémusat fut un des premiers à y entrer, comme il fut un des premiers à en sortir, dix-huit mois après, quand il crut voir qu’elle tendait à abandonner les voies légales. Sainte-Beuve l’a dit avant moi, « à aucune époque M. de Rémusat n’a regardé le renversement comme un but; mais il l’a toujours accepté comme une chance. » J’ajoute qu’en 1827 il ne lui paraissait pas désirable de courir cette chance. Avec la plupart de ses collaborateurs, il se réjouit de la chute du ministère ; mais celui qui succéda fut encore loin de remplir son attente, et il ne pensa pas que le moment fut venu de désarmer. La passion politique était dans tous les cœurs, et les chefs du parti doctrinaire, M. de Broglie et M. Guizot, ne conseillaient pas la capitulation. Le Globe resta donc de l’opposition, mais d’une opposition légale et modérée. A la même époque, M. Guizot et un de ses amis, M. de Guizard, avaient fondé, avec le concours de M. de Broglie, une revue nouvelle, la Revue française, qui devait, sous une forme différente, soutenir les mêmes opinions que le Globe. Ce fut M. de Rémusat que l’on choisit pour écrire l’introduction, et personne mieux que lui ne pouvait justifier la devise que la Revue inscrivait sur sa première page : et quod nunc ratio est, impetus ante fuit. C’était un plaidoyer aussi ferme que modéré en faveur de la liberté qui, disait-il, bien loin d’arrêter le mouvement des sciences, des lettres, des arts, devait en faciliter le développement à la condition que la paix régnât en même temps. « Il a manqué, ajoutait-il, aux vingt premières années de la révolution, d’abord la paix et presque toujours la liberté. Nous avons la paix, et la liberté commence. » Dans un second article sur l’état des opinions, il décrivait les deux classes d’hommes qui se partageaient la société française, ceux-ci tournant des regards d’envie et de regret vers le passé et appelant corruption ce que d’autres nommaient perfectionnement, ceux-là admirateurs exclusifs du présent, tournant en dérision les traditions de leur pays et les souvenirs de la vieillesse. Néanmoins les deux tendances étaient nécessaires, et la société ne pouvait se passer ni d’examen ni de foi. « L’âge d’innocence des croyances était bien court, et jusqu’ici la liberté de penser n’avait guère été soutenue que dans un intérêt de circonstance et par des sectes opprimées qui l’invoquaient comme une sauvegarde. Mais les temps étaient